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La cruche et le vent

Dans ce dossier que nous consacrons à de grandes questions contemporaines, un médecin, engagé dans une réflexion sur sa profession, s’exprime dans nos colonnes et évoque un apologue talmudique rapporté par Jean Léonetti, où il est question d’une cruche que fait tomber une servante et qui arrête la prière des vivants. Manière pour le député, auteur d’une loi sur la fin de vie, de suggérer que le médecin doit savoir parfois être celui qui fait tomber la cruche.

Il est un autre récit auquel l’élu des Alpes-Maritimes aurait pu se référer, c’est la mort du roi David, qui a quitté son étude – apologue talmudique également – pour descendre à son jardin parce qu’il a entendu le bruit du vent qui agitait les feuilles des arbres et qui s’est pris les pieds dans les escaliers.

La question de la fin de vie est épineuse, mais Claude Lanzmann a eu raison, dans une tribune du Point, de mettre en garde contre une loi qui voudrait donner aux hommes le pouvoir de donner la mort. Nous sommes frères, c’est vrai, du message où la vie constitue le bien suprême. Nous sommes issus d’une tradition qui respecte la vie et qui laisse à la cruche et au vent le soin de décider des instants ultimes.

De la cruche et du vent au camion et à la mer. Nous parlons, dans ce dossier consacré aux grands débats de société, de la laïcité, de l’écologie, de l’euthanasie, de l’homosexualité, de la GPA-PMA. Toutes ces questions liées à l’éthique, ne peuvent pas nous éloigner d’un drame qui concerne une des épreuves les plus cruelles qu’il est donné à l’Europe de vivre, celle des migrants. Le cœur se serre à la vue de tous ces bateaux échoués, ces camions frigorifiés, cet enfant syrien de trois ans retrouvé inerte sur une plage turque, tous ces hommes et ces femmes fuyant la famine et la guerre, et qui ne peuvent qu’émouvoir et indigner les gens de bonne volonté. L’Europe peut s’enorgueillir, dans un océan de torpeur, d’être le continent où, face à cet afflux de réfugiés et aux tragédies de plus en plus fréquentes, des voix se font entendre de tous les côtés pour appeler à l’aide, à la solidarité, à l’humanité.

Nous sommes un vieux peuple que ces images ne peuvent pas laisser indifférents. Et Guy Sorman a raison de rappeler – dans un article du « Figaro » -, évoquant la figure de son père à l’époque du nazisme, qu’il est parfois nécessaire de comparer ce qui n’est pas comparable, « ne serait-ce que pour éveiller les consciences anesthésiées ».

Une fois qu’on aura dit que les solutions ne sont pas simples, que les dangers sont de tout côté, que l’émotion ne peut pas seule dicter une politique, reste que ce drame nous interpelle au plus profond de nous-mêmes. Il appelle des réponses, et la compassion n’est pas à la hauteur de ce qui arrive – 300 000 personnes ont mis en péril leurs vies en tentant cette année de traverser les mers, et plus de 2 600 d’entre eux ont rencontré la mort en cherchant à fuir les guerres et les persécutions, au cours de leur voyage par terre et par mer -, mais personne ne peut détourner les yeux, personne ne peut se voiler la face et personne ne peut rester insensible à ce drame. Quelles que soient les solutions qui seront apportées – et qui peut dire qu’il a des certitudes sur ce sujet ? -, c’est aussi de notre vivre-ensemble qu’il est question. Notre mémoire. Nos croyances. Nos livres. Et les valeurs qui nous rassemblent.

Bonne et heureuse année 5776 à tous nos lecteurs.