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Religion

Homosexualité au prisme juif

Michael Azoulay, rabbin consistorial à Neuilly-sur-Seine, conseiller du grand rabbin de France pour les affaires sociétales, et Yeshaya Dalsace, rabbin de la communauté massorti, échangent leurs points de vue autour de la place de l’homosexualité au sein du paysage juif français.

L’Arche : D’après vous, l’homosexualité est-il un sujet qui doit être abordé au sein du judaïsme français ?

Yeshaya Dalsace : C’est un sujet qui doit être absolument abordé car la problématique existe. Il y a un certain nombre de Juifs homosexuels qui se trouvent dans une situation de porte-à-faux vis-à-vis du judaïsme et de la communauté juive et cela leur pose évidemment problème.

Michael Azoulay : L’homosexualité est un immense tabou. Dans certaines familles, il existe des homosexuels, tout le monde le sait mais personne n’en parle. C’est une question qui n’est pas du tout abordée chez les Juifs de France. La loi en faveur du mariage pour tous a pourtant mis en avant cette réalité au sein de la société française mais il existe encore une véritable chape de plomb autour de l’homosexualité dans le judaïsme français qui va devoir se confronter à cette question.

Yeshaya Dalsace : C’est intéressant que tu sentes cette chape de plomb car dans ma communauté, l’homosexualité devient presque anecdotique. Beaucoup de gens sont venus se confier à moi et, de mon point de vue, leur orientation sexuelle ne joue aucun rôle.

Michael Azoulay : De mon côté, les seules fois où des homosexuels sont venus me parler, cela faisait suite à des conférences que j’avais données sur le sujet. Sans mes interventions, la parole ne se serait jamais libérée.

Yeshaya Dalsace : C’est pareil pour moi, les fidèles se confient parce qu’ils connaissent mes positions et que le rabbinat français ne représente pas un interlocuteur de confiance. D’ailleurs, j’avais été très déçu par l’essai de Gilles Bernheim sur le mariage pour tous. À mon sens, ce débat ne concernait pas le judaïsme dans la mesure où il s’agit d’une loi civile. Et en ce qui concerne l’homosexualité, les textes bibliques ne sont pas clairs. Les références à l’homosexualité sont extrêmement rares et on y condamne très sévèrement la coucherie masculine, au même titre que beaucoup d’autres transgressions. Je suis réservé quant à l’idée de plaquer ces textes sur l’homosexualité d’aujourd’hui. Les textes abordent uniquement l’acte technique. Or, dans la société actuelle, on ne parle pas d’un acte mais d’une tendance. Par ailleurs, les études montrent que l’homosexualité se révèle à l’adolescence et ne correspond pas à un choix. Comment peut-on parler d’une perversion si l’individu n’est pas libre de transgresser cet interdit ?

 

Effectivement, de plus en plus d’études indiquent que l’homosexualité est décidée par la nature très tôt dans la vie d’un homme ou d’une femme…

Michael Azoulay : Il existe un hiatus entre un texte biblique lapidaire qui évoque uniquement l’acte homosexuel, et ce que nous appelons aujourd’hui « homosexualité ». Et si l’individu n’est pas libre de choisir son orientation sexuelle, au nom de quoi peut-on le condamner ? En revanche, je ne suis pas d’accord avec Yeshaya concernant l’essai de Gilles Bernheim. Il avait, à mon sens, toute la légitimité de s’exprimer sur le mariage pour tous dans la mesure où les autres cultes ont été consultés et que le fait d’institutionnaliser une autre relation que la relation hétérosexuelle heurte de plein fouet un fondement biblique. D’ailleurs, dans les écoles juives, on ne parle pas d’homosexualité ou d’homoparentalité de peur de faire passer ce modèle comme un modèle moral.

Yeshaya Dalsace : Durant les débats autour du mariage pour tous, j’ai pu constater une violence de la norme hétérosexuelle : un papa, une maman, une fille, un garçon. C’était d’ailleurs le logo de la Manif pour tous. Il est tellement facile de dire « Soyez comme moi ». Pourtant, citez-moi un couple « normal » dans la Bible ! Cela fait partie des valeurs juives de défendre la place des autres.

 

Que faire alors de ces textes bibliques qui condamnent violemment l’acte homosexuel ?

Michael Azoulay : Ce sont des textes qui font toujours autorité, qui s’imposent à moi. Pourtant, je ne m’interdis pas de m’interroger et la Torah ne doit pas conduire les Juifs homosexuels à être rejetés. Tout comme ceux qui ne respectent pas le Chabbat, car il ne nous viendrait pas à l’idée de les exclure de la communauté. Il est important de ne pas instrumentaliser la Torah et de ne pas juger les gens uniquement à travers le prisme des textes. Il y a les textes et puis il y a l’humain.

Yeshaya Dalsace : Je pense que les textes mettent déjà l’accent sur l’humain puisque certaines mitzvot consistent à défendre ceux qui souffrent. Pendant Kippour, on lit ce passage du Lévitique qui revient sur les interdits sexuels. Ca heurte certains fidèles homosexuels qui me l’ont fait savoir. Mais moi aussi je me sens en porte-à-faux avec certains écrits et il y a de nombreux passages dans la Torah susceptibles de créer un malaise. La question est : que fait-on de ces textes ? Comment les digère-t-on ? Certains homosexuels tournent le dos au judaïsme et il existe un taux de suicide élevé dans cette partie de la population. Pourtant, quand il est question de vie ou de mort, le judaïsme est censé intervenir. Pour un seul cas, on peut changer la loi. Alors quelle place accorde-t-on aux homosexuels ?

 

Que répondez-vous aux Juifs homosexuels qui viennent se confier à vous ?

Michael Azoulay : Je leur dis que l’on a tous un rapport à la Torah qui n’est pas absolu. Chacun fait ce qu’il peut et veut. Le judaïsme, ce n’est pas tout ou rien. On peut apprendre à vivre avec cette contradiction. Jamais je n’aurais de regard culpabilisateur sur un Juif homosexuel car, oui il y a ce texte, mais il y a aussi tous les autres textes qui encouragent à défendre les opprimés. Il faut mettre en place un énorme travail pédagogique.

Yeshaya Dalsace : Dans le judaïsme, on met en avant une éthique sexuelle qui est valable pour tout le monde. L’acte sexuel n’est pas gratuit, il engage la responsabilité de l’individu qui va au-delà du simple plaisir. Pour moi, les homosexuels sont soumis aux mêmes exigences. Je les encourage donc à fonder un foyer juif et à conserver une éthique dans leur sexualité, au même titre que les hétérosexuels. C’est ce que la nidda apprend : on ne fait pas n’importe quoi, n’importe quand. Cela demande une exigence de soi que tout le monde doit avoir. Si un couple de lesbiennes vient me voir, je leur expliquerai que leur enfant est juif. S’il s’agit d’un couple de gays et que la mère porteuse n’est pas juive, alors je leur conseillerai de convertir leur enfant, de célébrer sa bar mitzva et de l’élever dans le judaïsme. Il faudrait bien sûr que le Talmud Torah et que les écoles juives soient en capacité de l’accueillir.

 

Que pensez-vous de l’attentat commis par un ultra-orthodoxe à la Gay Pride de Jerusalem et qui a fait une victime il y a quelques semaines ?

Michael Azoulay : Les versets du Lévitique qui incriminent et répriment la sexualité homosexuelle ne sauraient être applicables sans le recours aux règles juridiques détaillées dans la tradition orale, relatives notamment aux témoins et au tribunal. Il va donc sans dire que les homophobes qui prétendent faire justice eux-mêmes au nom de ces versets sont hors la loi et condamnables par le système de lois qu’ils prétendent respecter. Le grand rabbin de France Haïm Korsia a d’ailleurs immédiatement condamné cet acte.

Yeshaya Dalsace : Cet attentat ne fait, hélas, qu’illustrer une situation de violence verbale et psychique déjà ancienne contre les homosexuels de la part de cercles fondamentalistes juifs. Certes l’agresseur est un fou, un récidiviste forcené, mais ce genre de dingues est nourri de tout un discours et de prises de positions de certains rabbins qui portent, de mon point de vue, une très lourde responsabilité. Le drame de la partie radicale du judaïsme est que rien ne saurait provoquer chez elle une quelconque remise en cause, même la mort violente de personnes humaines n’y fait rien. C’est révoltant et désespérant, mais rien ne change et je suis personnellement plutôt pessimiste sur l’évolution des fondamentalistes qui continueront leur fuite en avant sous l’œil complice par passivité de la plupart des orthodoxes plus modérés. Ce dont je suis convaincu, c’est que Dieu ne peut que pleurer sur l’évolution si lamentable de ceux qui se voudraient les gardiens de sa Tora… Pour ceux qui croient à une Tora humaniste, ils ont de longs combats à mener dans un Israël largement conciliant avec l’extrémisme et en partie gouverné par lui.