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Religion

Paroles bibliques sur l’écologie

Réflexions sur le discours des écologistes et les enseignements de la tradition juive sur l’environnement.

 

Il est aisé de montrer comment, par les multiples lois qu’elle ordonne aux hommes et à ceux qui les gouvernent, la Torah leur demande de prendre soin du sol, des plantes, des animaux et de l’atmosphère qui les entoure.

Le premier commandement donné à Adam placé dans le jardin de l’Eden, est « de le travailler et de le soigner » (Genèse 2,15). Tirant sa subsistance du sol par le travail, l’homme risque toujours de le dégrader. Le verbe « Chamor » signifie garder, soigner, agir concrètement de façon à éviter de souiller la terre, bref en être responsable. Mais Adam n’a pas accepté la Loi qui le lui rappelait et le ramenait à sa finitude ; Dieu lui dit : La terre sera maudite à cause de toi ; c’est avec labeur que tu en tireras ta nourriture tant que tu vivras ; elle produira pour toi des ronces et des épines et tu mangeras l’herbe des champs ; c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre car c’est d’elle que tu fus tiré. Genèse 3,17-19

La terre n’est pas maudite en elle-même puisque c’est Dieu qui l’a créée et l’a déclarée bonne, mais à cause de l’homme qui ignore ce que travailler veut dire. Le travail non plus n’est pas maudit en lui-même, puisque Dieu l’a ordonné à Adam, mais c’est celui de l’homme transgressant la loi éthique. Il se précipite à tirer sa subsistance de la nature sans aucun sens de la limite en la considérant comme un pur objet soumis à son pouvoir. Cela recommence avec Caïn qui tua son frère Abel. Dieu lui en montre les conséquences en lui disant : Tu es maudit du sol qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Lorsque tu cultiveras le sol, il cessera de te faire part de toute sa fertilité. Genèse 4,12.

La mauvaise conduite de l’homme dans sa relation à l’autre a donc certainement des conséquences sur l’équilibre de la terre qu’il occupe par sa violence. De même, le récit du Déluge commence ainsi : La Terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence. Dieu vit que la terre s’était corrompue et que toute créature avait perverti sa voie sur la Terre. Genèse 6,11-12

La bénédiction accordée à Jacob par son père Isaac concerne la relation qu’il avait et qu’il devait avoir avec le sol. Il l’énonce en ces termes : Le parfum de mon fils est comme le parfum d’un champ béni par le Seigneur. Que Dieu t’enrichisse de la rosée des cieux et des sucs de la Terre, d’une abondance de moissons et de vendanges. Genèse 27,27-28

Sur le plan des pratiques quotidiennes des hommes et des peuples sur leur terre et dans leurs relations avec le sol, la Torah ne cesse d’insister sur leur manière de s’y installer, de l’habiter et de s’en occuper. On pourrait rappeler ici toutes les lois relatives à l’agriculteur, au vigneron, au berger et au citoyen dans sa ville, au militaire, au patron et à l’ouvrier. On pourrait aussi remarquer que les fêtes bibliques sont toujours reliées aux saisons et comportent des rites relatifs au sol. Rappelons la fête du 15 Chevat au cours de laquelle le devoir est fait au fidèle de planter un arbre et de se souvenir que la Torah compare l’être humain à un arbre des champs. Quant à la loi de la chemitah, au cours de laquelle l’agriculteur devait s’abstenir de cultiver son champ chaque septième année, elle traduit le souci de sauvegarder l’environnement plus que toute autre loi. La Torah parle en ce cas « du chabbat de la terre » comme elle parle du chabbat de l’homme pour signifier le lien métaphysique qu’il entretient avec le sol. L’une des raisons invoquée pour expliquer l’exil d’Israël était la violation par le peuple juif de l’année de la chemitah.

Je voudrais plus particulièrement réfléchir sur le discours des écologistes en l’opposant à la parole biblique sur l’environnement. Les civilisations et les cultures ont commencé par diviniser la nature et les forces cosmiques en les peuplant de divinités majeures et mineures et en traduisant par des mythes l’angoisse, la crainte et le sentiment de solitude que l’homme ressentait face à elles. L’immensité de l’univers et sa puissance s’imposaient à lui. Soucieux de sa vie économique, de la fertilité des sols et de la fécondité des troupeaux et des femmes, il craignait les sécheresses et les catastrophes qui ruinaient ses efforts et son labeur. Son lien à la nature se réduisait à l’intérêt et à l’égoïsme individuel ou collectif. Il nourrissait les dieux par des sacrifices et les abritait dans ses sanctuaires pour qu’ils lui garantissent son existence quotidienne. C’était donc le principe économique du donnant-donnant (do ut dès) qui réglait sa relation au sol et aux dieux. Il offrait les animaux ou les produits du sol et en retour, les dieux lui envoyaient la pluie et lui garantissaient la fertilité et la fécondité.

La révolution scientifique a démythologisé le monde et a privé l’univers et la nature de tout regard spirituel. Réduits au seul concept et au discours mathématique, ils ne disent plus rien à l’homme sur le sens de son existence. La maîtrise théorique et technique de la nature a occulté la question de savoir si une autre parole est possible que le discours rationnel tenu sur la nature et celui de l’intérêt et de l’utilité. Dans la négative, l’homme serait conçu comme un être parmi les autres êtres, soumis aux mêmes lois que l’univers et prisonnier d’une nature muette et indifférente à son souci et à toutes ses autres exigences.

La Torah et le Midrach répondent par l’affirmative en apportant sa limite à l’entreprise scientifique légitime et en l’estimant à sa juste valeur. Dès le premier chapitre de Genèse qui raconte l’organisation et la création du monde, elle démythologise la nature en affirmant que le monde est créé, placé à l’extérieur de Dieu, que là où se trouve Dieu le monde n’est pas. Les rabbins précisent que le néant les sépare. C’est en ce sens que l’ordre est donné à l’homme de la maîtriser par le savoir et par l’action.

Dieu les bénit et leur dit : Fructifiez et multipliez. Remplissez la Terre et soumettez-la. Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur le sol. Genèse 1,28.

En créant les végétaux, les animaux et les hommes, Dieu place en eux la puissance reproductrice livrée à ses propres réalisations et à la volonté humaine. La lune, le soleil, les étoiles et l’espace céleste ne sont plus divins et n’abritent aucune divinité. Ils éclairent et réchauffent la Terre et servent de signes au temps. (Genèse 1,16-18). Une fois le monde organisé de telle manière que chaque être reçoit sa nature, sa fonction et sa place, l’homme, c’est – à-dire l’Humain, est créé le dernier jour pour l’appeler à sa responsabilité par rapport à tout ce qui l’a précédé. L’homme n’est pas abandonné dans un monde indifférent à lui, muet et radicalement étranger. Un lien est noué entre lui et la nature qui l’empêche de s’y sentir seul et perdu. Entre la divinisation de la nature peuplée d’êtres divins et le silence que lui impose le pur discours intellectuel, une parole est possible, une parole humaine qui la dit bonne par rapport au projet spirituel et éthique proposé à l’homme. Le premier chapitre de la Torah le répète sept fois : Dieu vit que c’était bon. Un soir fut, un matin fut : jour un. Dieu vit que c’était bon. Un soir fut, un matin fut : deuxième jour…

Quelle est donc la nature et quel est le sens de ce lien ?

Il est à double entrée : la nature parle à l’homme. Elle est créée par la parole. Il faut donc que l’homme l’écoute et cesse de la voir seulement. La Torah la présente comme une œuvre divine parce qu’elle est organisée par la parole et comme la parole. Qu’est-à-dire ?

Elle fait signe vers un au-delà d’elle-même comme les signes de la parole. Elle est ce que la science dit d’elle mais elle est aussi autre. On peut la louer, la contempler, s’émerveiller en la percevant, comme le peintre ou le musicien le font et en témoignent. À l’exemple de la parole, signe de présence du sujet qui la profère, et à la différence du discours anonyme et systématique, elle porte la trace de la Transcendance à laquelle elle renvoie. Nous entendons ce terme de Transcendance comme ce qui est extérieur et supérieur. Elle se réfère et renvoie toujours à d’autres significations que celle qui se présente dans une situation précise. Elle est autre. La relation que l’homme entretient avec elle, brise le système dans lequel on cherche à l’enfermer en la réduisant au discours de l’intérêt, de l’utilité, de la jouissance inconsidérée, du concept pur et de la divinisation. C’est en ce sens qu’on affirme que la nature parle et ne cesse de parler, qu’elle a « une bouche » comme le dit la Torah.

Ainsi est établi et rétabli le lien de l’homme avec la nature et avec la responsabilité qu’il en a. Ce n’est pas la passion, la maîtrise, l’intérêt ou la raison pure seulement qu’il doit y chercher en se fixant sur sa matérialité et sur son caractère naturel. C’est l’appel qu’elle lui lance à la « garder » et à la protéger quand il y travaille pour en tirer sa subsistance, qu’il doit écouter. La tradition nous demande de prêter attention à cet appel en récitant les bénédictions appropriées à chacune des utilisations que nous en faisons. Le chabbat, par exemple, se présente à nous comme le temps où nous nous arrêtons de travailler et d’assurer notre installation dans le monde, pour entrer dans un temps où nous apprenons à écouter la nature hors du schéma de l’utilisation et du savoir intéressés, dans un temps de contemplation et d’admiration sans adoration. La Torah qualifie ce temps du chabbat, d’Alliance (bérith), d’Alliance avec la Transcendance parce qu’il rappelle aux hommes leur co-responsabilité à l’égard de la nature. Le temps de la semaine est celui où ils l’exercent dans leur travail.

L’Alliance est celle contractée entre l’homme et la Transcendance du sens inépuisable, ou, en d’autres termes, avec l’Infini.