Sarah Blum, une jeune franco-israélienne vivant en Israël depuis 2008, a réchappé de justesse à une attaque au couteau alors qu’elle se rendait chez le médecin, les écouteurs du téléphone vissés sur son oreille, ce mercredi 14 octobre dernier à Jérusalem. C’est elle qui a donné l’alerte. Une femme de 72 ans sera blessée par le terroriste devant la gare routière lors du même assaut. Depuis, encore bouleversée, Sarah a pu tout de même fêter ce week-end son anniversaire, « à la saveur particulière », et elle veut surtout témoigner de la réalité israélienne, « intenable », selon ses mots.
Nous vous avons vu témoigner dan quelques médias suite à l’attaque, comment vous ont-ils contactée ?
Ils m’ont appelée suite à un message sur ma page Facebook et Twitter, que j’ai posté après l’attentat, après avoir réussi à joindre ma mère (avec laquelle j’étais en ligne juste avant l’attaque), pour rassurer les personnes qui s’inquiétaient , me sachant ce jour-là près de la gare. J’avais aussi envie de témoigner, pour que l’on comprenne ce qu’il se passe ici. Il y a une réalité palestinienne, et je suis la première à en parler, mais il y a aussi une réalité israélienne, dont on parle beaucoup moins.
En ce moment, la peur règne. Les gens sortent assez peu. A Tel Aviv, cela va encore, mais tout le monde fait quand même très attention. Les bus sont moins remplis que d’habitude. A Jérusalem, l’ambiance est vraiment très particulière.
Depuis le début de cette intifada qui ne dit pas vraiment son nom, les gens se demandent comment se rendre à Jérusalem : en bus ? en sherout ? en voiture avec quelqu’un ? J’ai un entretien d’embauche demain à Jérusalem, toute ma famille me dit de ne pas y aller…Mais je ne veux pas céder à la terreur, je ne vais pas annuler ce rendez-vous. Cela peut paraître ridicule, un peu idiot mais on peut réellement risquer sa vie aussi…Mais malgré l’attaque, et je ne pensais pas que cela me ferait cet effet là, le criminel ne m’a pas complètement terrorisée. Je refuse de céder à une espèce de psychose, d’arrêter de vivre, de ne pas suivre mes occupations habituelles, donc je sors, en revanche je suis encore plus vigilante. Je l’étais déjà ceci dit, sinon, je n’aurai pas pu éviter cette attaque. Mais là, je me retourne vraiment au moins 3, 4 fois sur 500 mètres, je regarde vraiment partout. Evidemment je garde mon portable dans ma poche, partout, y compris à Tel Aviv. Avec mes proches, on privilégie les places dans le bus où l’on ne risque pas se faire poignarder dans le dos, on évite les portes d’entrée du bus, et quand on est à son arrêt, on vieille à se mettre contre un mur. A l’un de ces arrêts justement, hier soir, il y avait un homme, que je trouvais bizarre, et du coup, je me suis mise très à l’écart…je sursaute aussi quand une voiture passe trop près de moi… Voilà pour les choses un peu irrationnelles que je ne contrôle pas vraiment…Je pense que cela passera, j’ai un peu peur moi aussi, mais ce n’est pas pour autant que je vais m’interdire de parler néanmoins à certaines personnes : j’ai des amis qui sont arabes israéliens ou palestiniens, ils restent mes amis. Certains m’ont appelée pour me demander comment j’allais. Il y a des choses qui ne changeront pas, mais quelques-uns de mes réflexes ont un peu évolué…
Que vous ont dit ces amis ?
Ils sont écoeurés de ce qu’il se passe, ils ont pris de mes nouvelles, espéraient que j’allais bien, que tout cela allait s’arrêter mais quelqu’uns d’entre-eux, pourtant membres ou anciens membres de certains mouvements pour la paix, ne m’ont pas envoyé de messages, ne m’ont pas appelée et diffusent parfois des messages anti-israéliens… Cela me blesse beaucoup même s’ils ne sont pas les plus nombreux. Pour ce qui est des autres, plus proches, ils ont peur aussi pour eux : à moins d’avoir un signe religieux distinctif, on ne peux pas savoir avec certitude qui est juif, qui est arabe. Tout le monde risque sa vie. Des juifs ont aussi poignardé des arabes, (moins, tout de même, il faut le dire). C’est toute la situation qui est ultra tendue en fait.
Nous vous avons vue, à la télévision, critiquer la couverture médiatique internationale des évènements, que pouvez-vous nous en dire ici ?
Comme beaucoup, je suis extrêmement choquée de la prise de parti des médias internationaux, en particuliers français, de certains aux Etats-Unis, et surtout britanniques. On observe vraiment des titres d’articles tournés d’une telle manière ! Pour avoir travaillé un peu dans la presse et pour savoir comment on fait un titre, comment on le construit (c’est à dire : d’abord une exergue de l’information principale, ensuite, les infos secondaires), selon moi, quand un Palestinien, qui vient de chercher à tuer, qui est clairement un meurtrier, un terroriste, est présenté dans le titre d’un article de la BBC sous le message suivant « Palestinian shot », par exemple, cela veut dire que l’information principale est qu’il s’est fait tirer dessus, pas qu’il ait essayé d’assassiner des gens… dans ce cas, il y a vraiment un problème de parti pris. Ces jours-ci (je lis les news de très loin depuis quelques jours…), je suis tombée sur un papier de la BBC encore, concernant une attaque similaire en Allemagne, et bien le titre de l’article était tout à fait correct, alors qu’ils ont titré sur l’attentat de Jérusalem de façon totalement inversée pour le même type d’assaut. La manière de couvrir l’évènement et surtout de qualifier les articles pour choquer, pour attirer le lecteur, est outrancière, obscène et fait passer un message totalement erroné au lecteur non averti. On peut débattre de la moralité de la colonisation, débattre de la paix, des différentes solutions pour y arriver, oui, ce sont des débats importants (je ne dis absolument pas le contraire), nous avons ces débats depuis longtemps et il faut les ramener sur le devant de la scène politique en Israël.. J’en suis l’avocate depuis longtemps, je ne vais pas me mettre maintenant à dire qu’il faut les mettre de côté mais il y a un autre débat, qui est tout aussi important et encore plus important ces jours-ci : c’est la radicalisation palestinienne, c’est la continuation d’une idéologie et d’une incitation à la haine depuis l’enfance, depuis des décennies et des décennies, c’est l’appel au meurtre, c’est le maintien de la population dans une ignorance crasse, l’éducation à la violence, la mise en pratique de cette violence et le soutien à cette violence. On ne peut pas vouloir d’un côté faire la paix et donner les mêmes droits aux Palestiniens des Territoires que ceux des citoyens israéliens juifs et arabes, alors que de leur côté, ils nous dénieraient ces mêmes droits s’ils en avaient le pouvoir. Dans l’idéal, il faut un état palestinien, revenir à la table des négociations, trouver un accord de paix, oui, mais si de l’autre côté, la seule réponse, c’est « oui oui, mais d’abord, on va récupérer cette partie de territoire et puis ensuite, le reste et puis de toutes les façons, vous n’êtes pas légitimes sur votre terre », comme je le lis en substance partout en ce moment sur les réseaux sociaux arabes, alors non. Je lis l’arabe, je lis ce que certains Palestiniens postent , dont beaucoup de gens qui travaillent à l’OLP. Ils diffusent des messages exactement dans ce même sens. Je n’ai pas lu une seule condamnation de la part, ni des chefs palestiniens, ni même de la part de gens qui travaillent pour eux et qui, pour certains, ont pu même étudier avec moi. Au contraire…
Des voix institutionnelles organisées portent-elles tout de même des messages condamnant ces attaques ?
Aucune voix palestinienne ne porte cela. Il n’y a aucune institution palestinienne qui porte ce message, la seule chose que nous voyons, et c’est relativement nouveau et heureux, ce sont certains arabes israéliens et palestiniens, au niveau individuel, ne représentant pour ainsi dire presqu’eux-mêmes, qui ont le courage immense , car il faut le dire, pour s’exprimer contre ces meurtres-là. Ce sont des personnes qui se font menacer en permanence pour les propos qu’ils tiennent par leurs familles, amis, voisins arabes. Dans l’ensemble, la presse palestinienne est nauséabonde et nourrit les gens de mensonges. Si moi, je n’absorbais que des mensonges dans la presse que je lis, je me poserais sûrement certaines questions…. Nous avons, de notre côté, la chance d’avoir une presse qui est très ouverte, qui peut dénoncer aussi bien la colonisation et les problèmes des Palestiniens, que ce qu’il se passe en Israël. Nous avons la chance d’avoir une information beaucoup plus large, beaucoup plus complète qui correspond aux valeurs d’un état démocratique, or, en face, les gens vivent dans une espèce de dictature avec une chape de plomb, où l’on essaie de manipuler les gens. Ces derniers en sont presque victimes. Et tant que ce problème là ne sera pas réglé, rien ne pourra marcher. Nous sommes bloqués. Il faut trouver une sortie et pour moi, cette sortie ne pourra se trouver qu’avec l’arrêt de l’incitation à la haine et par une reconnaissance officielle des palestiniens de notre droit d’exister. Sur les réseaux sociaux, on voit bien que le problème n’est pas tant l’occupation finalement, mais plutôt celui de la récupération de la terre dans son intégralité…Grosso modo, c’est « vous ou nous » . Je suis légitime à vivre ici. J’aimerais qu’on leur donne les mêmes droits mais je ne veux pas que cela se fasse à mes dépens. Et en l’occurrence, mercredi soir, il y a un type qui m’a fait comprendre que cela devait se faire à mes dépens.
C’était « lui sans toi » ?
Oui, c’est ça. Il ne manifestait pas pacifiquement en me disant : « je lutte pour mes droits, je lutte pour une certaine dignité », ce n’est pas cela qu’il a voulu me dire. Ce n’est pas cela qu’ils disent.Certains le disent, et ils ont raison, mais ce que lui a exprimé par son geste c’est « je vais te tuer, je ne veux pas que tu existes ».
Que pensez-vous des réactions de la communauté internationale ?
Elle fait un peu ce qui l’arrange. Les déclarations de Kerry, par exemple, m’ont révoltée.
Que l’on mette en parallèle victimes et terroristes, qu’il y ait toujours une double condamnation est incroyable ! Nous avons en Israël un vrai problème de terrorisme. C’est une urgence ! Je ne comprends pas pourquoi c’est si compliqué de condamner un acte terroriste ou pourquoi ils prennent autant de temps pour formuler cette condamnation. Il faut toujours que les déclarations soient au préalable équilibrées… Pourtant, cela fait presque 70 ans que le dossier est sur la table, dans tous les ministères des Affaires étrangères de la planète et c’est un peu faire l’autruche que de ne pas voir le réel problème que constitue l’infiltration idéologique islamiste dans le nationalisme palestinien. Ce n’est pourtant pas nouveau…Ce qui met le feu aux poudres, c’est la crainte que l’Etat hébreu touche à al-Aqsa, or al-Aqsa n’a jamais été touchée réellement. Certes en ce moment, certains sionistes religieux (une tendance, parmi d’autres, du sionisme), montent sur le Mont du Temple, et s’amusent à monter sur le Mont du Temple et font de la provocation, mais il ne s’agit pas, comme on peut le lire sur les réseaux palestiniens, de raser al-Aqsa ! Il n’en a jamais été question ! Cela prend des proportions délirantes… Et c’est cela qui me révolte. Faut-il payer un haut prix de massacres pour vivre en Israël ? Cela ne s’arrête jamais… C’est une tension permanente. Ils veulent nous maintenir dans la peur. Il ne faut pas céder mais il faut ramener le débat là où il doit être en ce moment : son centre en est l’idéologie raciste, islamiste, qui est distillée sur tous les réseaux, par tous les moyens, par tous les médias palestiniens, par les dirigeants arabes israéliens et palestiniens, qui instrumentalisent ce lieu chargé spirituellement, émotionnellement, symboliquement , même pour les plus laïques, qu’est al-Aqsa.
Y-a-t-il des rassemblements aux mots d’ordre pacifistes actuellement en Israël ?
1000 personnes se sont réunies hier soir à Jérusalem, à Yafo aussi, des réunions de groupes pour la paix ont lieux dans tout le pays. Et des mouvements pour la paix, dans ce pays, il y en a plein ! Leur travail est important mais cela ne suffira pas… la menace et la haine instillée sont trop fortes.
Qu’est-ce qui pourrait vous rendre éventuellement optimiste ?
Une prise de conscience totale du coté palestinien, mais nous n’y sommes pas du tout… Maintenant, je vais continuer à travailler dans ce sens là Ce n’est pas parce que, officiellement, les Palestiniens ne font pas les pas qu’il faudrait que, de notre côté, nous ne devons pas les faire. Le jour où il y a une fenêtre d’opportunité de paix qui s’ouvre, il faudra la saisir immédiatement et pour cela, il faudra être prêt.
Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer