Inspiré des rouleaux d’Auschwitz, les témoignages des Sonderkommandos cachés dans le camp, le film d’un jeune juif hongrois à la radicalité exceptionnelle est destiné à devenir un classique.
Récompensé par le Grand prix du Jury à Cannes, le premier film d’un réalisateur hongrois de 38 ans, Lazlo Nemes, n’a pas grand chose en commun avec les films américains qui ont essayé de raconter les camps de l’intérieur. Dans un huis clos insoutenable, la caméra ne s’attache qu’ à un seul homme, Saul, et à une seule journée. Membre du Sonderkommando d’Auschwitz, sa terrible tâche est d’assister les nazis dans le processus d’extermination. Parmi les cadavres, il trouve celui de son fils. Pour se sauver lui même et sauver l’humanité, Saul va essayer de l’arracher aux flammes et de lui offrir kaddish et sépulture. Un défi impossible dans le camp où les victimes de la barbarie doivent disparaître sans traces. Il n’y a ni héros, ni entraide dans le film, seul l’omniprésence de Saul que la caméra suit dans ses moindres gestes. La bande -son saturée des ordres des kapos, des cris en yiddish et en hébreu puis des soupirs des condamnés, ajoute au sentiment de malaise puis de nausée. Jamais on ne s’était approché si près de l’horreur et pourtant il n’y a pas de voyeurisme morbide. Le four crématoire semble une bête qui rugit et avale ses victimes, les hommes ne peuvent penser ni même ressentir, ils obéissent aux ordres, hallucinés. Tout se passe de jour, dans une lumière industrielle, brute, à la façon d’une usine, sans plans panoramiques qui nous permettrait de nous échapper, l’espace d’un instant. La caméra, souvent floue, ne montre pas tout, et n’esthétise rien. Cette manière de filmer, inédite, claustrophobique plonge les spectateurs au cœur du cauchemar sans répit. C’est macabre, sans concession, éprouvant comme l’immense Shoah, dont le réalisateur s’est inspiré. Claude Lanzmann a aimé le film. Il n’est pas le seul. Le silence assourdissant qui clôt la sortie en dit long sur les émotions des spectateurs qui ont conscience d’avoir vu un grand film, un film dérangeant mais sans doute nécessaire Au cœur de la machine à tuer, il n’y a pas d’espoir mais une certaine forme de résistance.Vouloir laisser une trace de ce qui s ‘est passé, en enterrant son fils, est l’honneur de Saul qui sait que lui aussi va mourir.
Le fils de Saul, de Lazlo Nemes, en salles actuellement.