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Littérature

André Glucksmann, un homme en colère

André Glucksmann est mort cette nuit, après une longue maladie contre laquelle il se battait depuis de nombreuses années. Il avait 78 ans. On pense évidemment à sa femme, Fanfan, à son fils Raphaël qui prolonge ses combats et qui a été bouleversant quand il a dit, en annonçant le décès, qu”il perdait en même temps son père et son meilleur ami.
C’était quelqu’un de spécial et de très attachant, avec sa spontanéité, sa fougue et son goût pour la polémique. Il adorait polémiquer contre tout ce qui le mettait en colère, la bêtise, le pacifisme bêlant, les Boat People, la guerre en Yougoslavie, les dictatures en Iraq, en Libye, en Syrie. De ce point de vue, il était – ce qui tend à disparaître aujourd’hui – à la fois une conscience, un penseur et un homme engagé.
Son combat ? Finkielkraut a eu raison de dire qu’il a “rendu possible l’émergence d’une gauche anti-totalitaire”. Depuis son maître-livre, “la cuisinière et le mangeur d’homme”, et dès le début des années 80, il a été un de ceux qui ont exprimé ce que peu d’intellectuels – si on excepte les dissidents de l’est – ont dit, à savoir que le nazisme et le stalinisme étaient deux totalitarismes qui devaient être condamnés d’une même voix, même si l’un procède d’un fascisme assumé et l’autre d’un générosité dévoyée. Mis le résultat est le même. Les victimes sont pareilles, que ce soit à Auschwitz ou à la Kolyma.
On l’a accusé de reniement, parce qu’il avait été un des rares à dire en 2007 qu’il allait voter pour Nicolas Sarkozy. On omet de préciser ce qu’il avait ajouté, qu’il restait un homme de gauche, et que c’est la gauche qui s’est éloignée.
Il est né à Boulogne-Billancourt, dans un milieu et une famille d’Europe centrale. Ses parents sont passés par le Yichouv en Palestine mandataire, étaient des communistes réfugiés en France à partir de I933. Sous l’occupation, il a été enfant caché, son père est mort au début de la guerre, en I940, et sa mère est entrée dans la Résistance.
Il a baigné lui-même dans ce milieu communiste, mais à l’école normale, il croise Raymond Aron dont il devient l’assistant. Il le retrouvera dans son intervention pour les Boat People à l’Elysée avec les deux camarades qu’il avait réussi à réconcilier pour l’occasion, Sartre et Aron. Avec son ami, son jumeau, son double, Bernard Kouchner.
Il a raconté tout cela dans un livre qui est paru en 2006, un de ses derniers livres, le plus personnel, le plus émouvant aussi, celui où il évoque son judaïsme, “Une rage d’enfant”.
C’est dans ce livre qu’il raconte le parcours de sa famille. C’est un enfant caché qui est passé, à la fin de la guerre, par les maisons de l’OSE, et qui a vécu cette expérience de renaissance d’une certaine manière.
Il raconte une scène justement dans la pension d’orphelins où il se retrouve à la sortie de la guerre, où il pique un accès de rage sur une fête qui voulait seulement célébrer le retour d la paix. Cette rage ne l’a pas quitté.
C’était un homme en colère. C’est comme cela qu’il se voyait. Et ces colères, il les a héritées de sa mère qui était une femme simple, sans diplômes, engagée dans la résistance, et dont il dit qu’elle lui a tout appris. Et ces colères, il les a transmises à son fils qui poursuit ses combats. L’Arche veut dire à Fanfan et à Raphaël sa tristesse et son amitié.