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France

Martine Gozlan : « Il faut nommer les choses »

Martine Gozlan est rédactrice en chef à Marianne et écrivain. Elle a dirigé le numéro spécial sur « l’islamisme notre ennemi »

L’Arche : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser ce numéro?
Martine Gozlan: Compte tenu des tragédies que nous traversons, il nous semblait de plus en plus nécessaire de nommer les choses et de désigner avec précision l’idéologie qui veut nous détruire. Le savoir, l’information, tout cela fait partie du combat. Savoir contre quoi on se bat, c’est une arme capitale. Mais tout cela est banni des commentaires, des analyses. Or l’islamisme a une longue histoire dont la narration est réservée en général à un public restreint. Marianne veut porter cette affaire millénaire à la connaissance du public le plus large. Je travaille moi-même sur ce phénomène depuis vingt ans, j’ai consacré de nombreux ouvrages à l’islamisme et à son cheminement, ce qui m’a facilité grandement les choses, cette fois dans un laps de temps très court, dramatique.
Nous remontons aux sources du phénomène. Les fondements d’abord: une interprétation théologique littérale et obscurantiste a jailli au cœur de l’Islam au début du 9ème siècle à Bagdad. C’est l’école d’Ibn Hanbal, tout de même la quatrième école juridique islamique! Elle justifie le meurtre des « mécréants ». Plus tard, les fatwas d’Ibn Taymiya, au début du 14ème siècle, à Damas, élargissent ces appels, réclament des châtiments sévères contre les femmes et justifient la destruction des mausolées. Daesch s’appuie aujourd’hui sur ces textes! Vient ensuite, au 18ème siècle, en Arabie, la codification par un prêcheur fanatique, Abd al-Wahhab. Appuyé par un petit émir, Ibn Saoud, cela donnera le wahhabisme, doctrine d’état, deux siècles plus tard, de l’Arabie Saoudite qui l’exportera dans le monde. Puis, dans la première moitié  du 20ème siècle, surgissent les Frères musulmans, avec leur dogme régressif, anti-occidental et antisémite: c’est la phase de politisation. C’est enfin la djihadisation contemporaine. Chacun doit et peut se faire historien pour décrypter l’horreur actuelle.

Parmi tous les prêcheurs de haine, lequel vous semble le plus dangereux?
M.G: L’imam de quartier qui véhicule la fatwa médiévale d’Ibn Taymiya contre la musique est dangereux, lui et la source aberrante sur laquelle il s’appuie. On nous répète depuis des lustres que la panacée, ce sont des imams qui parlent français: mais désormais, ce sont des Français répercutant en français les dogmes de la barbarie! Inutile de dresser un hit-parade des intégristes les plus meurtriers: le véritable danger se loge au cœur de nos réactions elles-mêmes. Le pouvoir politique, intellectuel et médiatique doit faire son « examen d’inconscience » – c’est ce qui est train de se passer en ce moment- car il a laissé proliférer sans broncher l’idéologie salafiste qui est collée étroitement au djihadisme assassin. Il a usé et abusé des explications sociales et « victimistes ». Ainsi s’est installé un confusionnisme épouvantable qui a fait le lit des théories complotistes, de l’antisémitisme et de la haine de toutes nos valeurs.

Quelles ont été les réactions de votre lectorat?
M.G.: Nous recevons énormément de messages de solidarité et de remerciements. Le numéro est très bien accueilli parce qu’il est historiquement nécessaire, je pense, et parce que la ligne exprimée dans les différents éditoriaux réaffirme le combat de  Marianne: clarté, réflexion et résistance.