Jean-François Bensahel, président de l’Union libérale israélite, a co-écrit, avec Pierre d’Ornellas, le livre « Juifs et chrétiens, frères à l’évidence: la paix des religions. » aux Éditions Odile Jacob.
L’Arche : Vous venez de faire paraitre ce livre. Il y a 50 ans, le Concile Vatican II réexaminait entièrement ces relations judéo-chrétiennes. Estimez-vous donc que ces relations sont totalement apaisées aujourd’hui?
Jean-François Bensahel : Elles sont en voie d’apaisement, ou plus exactement, nous avons une occasion absolument unique de faire en sorte qu’elles le soient, de rentrer sur ce chemin de la paix et d’apaisement. Les plus hautes autorités de l’église catholique, mais aussi les protestants et certaines voix de l’église orthodoxe anglicane, ont fait des gestes et des pas énormes. Est-ce descendu partout, dans tous les fidèles? Non, pas encore. La paix n’a pas encore été conclue, car les fidèles des deux religions n’ont pas encore réalisé que la paix est à portée de mains, et que la main tendue de l’église catholique, et des protestants également depuis longtemps, est, par les plus hautes autorités, tout-à-fait sincère. Donc, non, nous ne sommes pas encore au bout, mais nous avons une occasion historique de tendre la main, à cette main tendue.
Donc selon vous, nous ne sommes pas encore en paix à l’heure actuelle?
Il ne faut pas regarder les choses à travers ce prisme. Il s’agit là d’un « process ». Cinquante-ans viennent de s’écouler pendant lesquels les protestants, l’église catholique, d’autres voix dans les différentes églises ont beaucoup agi. Mais si on parle de l’église catholique, celle-ci a fait des gestes absolument incroyables: les papes au Kotel, des papes à la synagogue de Rome ou dans d’autres synagogues, les déclarations des différents papes, la révision théologique en cours… Donc il y a eu des gestes exceptionnels. Est-ce que c’est la fin du mépris ou de l’indifférence? Non, pas encore. En revanche, cela ouvre les possibilités à un jubilé de fraternité, au bout duquel il y aura la paix définitive. Je crois que nous sommes dans cette dynamique là, et que nous avons une chance historique de construire la paix.
Quels sont les véritables problèmes qui persistent encore dans le dialogue entre les juifs et les chrétiens?
Il y a des difficultés d’ordre théologiques, et des difficultés d’ordre politiques. Tout cela relève du théologico-politique, comme finalement toujours dans toutes les questions de religion.
Pour les enjeux théologiques, il y a une difficulté chez les chrétiens, et une difficulté chez les juifs en règle générale, en dehors de certains individus en particulier. Chez les chrétiens, il faut admettre et intégrer définitivement que les juifs n’ont pas à être convertis au christianisme même au bout de l’histoire. Chez les juifs, au sens large, il faut se convaincre qu’à partir du moment où les chrétiens font retour, par Jésus, au Dieu d’Israël, qu’ils ne sont pas dans l’idolâtrie. Ils doivent se convaincre qu’avec aucun autre nous avons une relation aussi proche, puisque les chrétiens s’inscrivent dans la perspective de l’alliance. Ils se réclament (dans le « notre père » par exemple) d’une fidélité au Dieu d’Israël.
Pour les enjeux politiques, c’est la question de la terre d’Israël. Là aussi, il y a encore beaucoup à faire. L’État d’Israël a été reconnu en 1994, c’est à dire que des relations diplomatiques ont été nouées à partir de ce moment là. L’un des enjeux est que les chrétiens comprennent définitivement ce que cela signifie, c’est à dire que l’État d’Israël ne doit plus être une pomme de discorde. Ils doivent nous aider à faire en sorte qu’Israël ne soit pas diabolisé. Mais nous aussi, nous devons être conscients qu’à partir du moment où les chrétiens font ce retour à leurs racines juives, il en résulte que l’État juif doit leur être particulièrement hospitalier. Donc le sujet politique est de comprendre, accepter et admettre que la terre d’Israël est bien la terre d’un peuple juif vivant, dans laquelle ils doivent être accueillis à bras ouverts, étant donné qu’ils font retour à leurs racines juives.
Propos recueillis par Alexia Lévy
