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Littérature

De face sur la photo de Ronit Matalon : Juifs d’Egypte en terre africaine

Le premier roman de l’israélienne Ronit Matalon, qui nous avait séduits avec « Le bruit de nos pas » il y a trois ans (Ed. Stock) est enfin traduit en français. Une ode à la nostalgie.

 

Esther est une adolescente insolente, envoyée par sa famille israélienne au Cameroun chez un oncle qu’elle n’a jamais connu. Opposés au sionisme, les Cicurel sont arrivés à Douala en 1954 après avoir quitté l’Egypte qu’ils aimaient et ont réussi dans le commerce du poisson. Affluents, ils vivent avec les autres Blancs la vie des colons. Dés son arrivée, la jeune fille pénètre la vie de cette petite communauté, découvre les rapports hiérarchiques entre les Noirs et leurs employeurs mais aussi les liens secrets qui peuvent les unir. Elle se croit amoureuse d’un Jean-Pierre, s’entend mal avec sa tante Marie-Ange et comprend assez vite qu’on la destine à son cousin Erwan dont la femme n’a pas supporté les rigueurs du continent africain, s’enfuyant avec leur fils. Pour tromper son ennui et le peu d’estime pour Erwan, Esther va se lier avec le boy Julien, bousculant ainsi les convenances. Puis la jeune rebelle s’attelle à faire ressurgir le passé. A l’aide de photographies, que l’auteur nous donne à voir dans le livre, elle reconstitue l’itinéraire de la famille, du Caire à Marseille, de New York à l’Australie en passant bien sur par l’Égypte et Israël. Ce faisant, elle ressuscite la bonne société juive du Caire, les délices du café Gruppi et de la voiturette de foul, les dures années du kibboutz des débuts. Toute une galerie de personnages s’immiscent ainsi dans l’histoire, sans souci de chronologie : on découvre une tante bretonne, l’oncle Moïse qui se fâche avec son kibboutz et le quitte du jour au lendemain, Nonna Fortunée dont le père était l’abatteur rituel de la communauté du Caire… Tous souffrent de nostalgie et non pas comme l’auteur le précise sagement de regrets, la nuance est de taille. Est-ce vraiment l’Afrique la nouvelle Terre promise de cette famille ? Dans le temps africain qui s ‘étire, chacun est confronté à ces doutes qui s’expriment dans un néocolonialisme joyeux et foutraque vivant sans doute ses dernières heures.

Ronit Matalon fut correspondante à Gaza du journal Haaretz pendant la première Intifada puis critique littéraire avant de triompher avec le roman « Le bruit de nos pas ». Elle n’a pas son pareil pour mélanger enquête, collage, chanson de geste même pour décrire de manière attachante cette tribu dispersée, montrer à voir grâce aux photographies un monde façonné par le colonialisme du Levant. Le passé se révèle peu à peu, avec son lot de souffrances et de moments magiques. Dans la grande villa, au bord de la piscine, Esther va enfin grandir, décrire à sa grand-mère devenue aveugle ce qu’elle a vu et accepter son héritage . Un premier roman vraiment original qui séduira par l’ampleur de la narration, la richesse des souvenirs et la chronique parfois au vitriol d’une microsociété aujourd’hui disparue.

« De face sur la photo » de Ronit Matalon, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech. Editions Actes Sud.