Quand une sortie radicale de Donald Trump à l’encontre des musulmans affole les juifs américains.
Donald Trump a reporté sa visite. Il se rendra en Israël « une fois qu’il sera devenu le président des États-Unis ». Voilà ce que l’homme d’affaire et présentateur star de télé-réalité américain a dû déclarer, quand le Premier ministre israélien, comme de nombreux responsables politiques à travers le monde, s’est publiquement dressé contre sa proposition, dans les premiers jours du mois de décembre 2015, d’interdire l’entrée sur le territoire américain aux musulmans. Les propos scandaleux de celui qui se présente – avec quelque chance, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé – aux primaires républicaines en vue de l’élection présidentielle américaine de 2016 ont fait bondir trente-sept membres de la Knesset, l’Assemblée israélienne, issus de tous les bords politiques, et qui ont signé une pétition engageant Benjamin Netanyahou à renoncer à sa rencontre, prévue au cours du même mois de décembre, avec le candidat aux mille provocations. Donald Trump s’est vu contraint d’ajourner son voyage, affirmant qu’il ne pouvait pas faire supporter à Nétanyahou trop de « pression ».
Donald Trump est un personnage étonnant dans le paysage de la campagne américaine. Dans ses discours ou sur twitter, il multiplie les assertions les plus convenues de racisme contre les Hispaniques (il accuse notamment les immigrés mexicains d’être des drogués et des violeurs), contre les Noirs (il reprend un tweet absolument faux sur le pourcentage dément de Blancs tués par des Noirs aux États-Unis), les blagues louches sur les juifs (devant un parterre juif, il vante la capacité de négociation de ses auditeurs), les répliques odieuses sur les femmes (il se moque de la plus élégante façon d’une présentatrice de la chaîne télévisée Fox News, qui l’avait interpellé sur son sexisme, en affirmant que le sang lui sort des yeux… et de partout). Il pense aussi, pour cocher toutes les cases, à singer le handicap d’un journaliste du New York Times. Aux États-Unis, où les blagues sont circonscrites, où les discriminations de toutes sortes sont traquées – du moins dans les lieux publics et professionnels, ces sorties à la Le Pen sont étonnantes. Elles accompagnent une manière d’être générale : l’acclamation du succès, la recherche de l’argent, du confort, du luxe, une absence générale (contrairement, au passage, à Le Pen) de la moindre référence culturelle. Donald Trump est-il la catharsis de la société américaine ? Son émanation ? Sa punition ?
Né en 1946 dans le Queens, à New York, l’homme d’affaires, descendant d’immigrés écossais et allemands, a bâti sa colossale fortune (évaluée à 8 milliards de dollars par lui-même, tandis que le Forbes lui en attribue 4) dans l’immobilier. Après des études dans un lycée militaire puis à l’université Wharton de Pennsylvanie, il a fait fructifier l’entreprise immobilière déjà plutôt florissante de son père. Il multiplie les coups, bâtit tours et hôtels à travers le pays, bientôt dans le monde entier, non sans essuyer quelques faillites, dont il se relève. En 1996, il devient co-propriétaire du concours de beauté Miss Univers. En 2004, il lance une émission de télé-réalité, The Apprentice, diffusée sur la chaîne NBC, qui rencontre un immense succès. Le businessman la présente lui-même. Il fait passer une série d’entretiens d’embauche à plusieurs candidats et candidates, de jeunes diplômés, qu’il élimine au fur et mesure, leur lançant son fameux : « You’re fired ! » (Vous êtes viré !), exclamation apparemment aussi jubilatoire que cruelle et devenue depuis une marque déposée aux États-Unis. Le vainqueur du show se voit embauché pour un salaire de 250 000 dollars annuels dans l’une des entreprises de Donald Trump.
Marié trois fois, le magnat de l’immobilier n’hésite pas à vanter les charmes de sa femme Melania Knass, top modèle d’origine slovène, affirmant dans un tweet qu’un type accompagné d’une femme pareille représentera mieux l’Amérique que ses concurrents. Celui qui a eu cinq enfants est grand-père, et notamment grand-père de petits enfants juifs. « Ce n’était pas prévu au programme », reconnaît-il pour le journal juif américain Algemeiner Journal en février 2015, mais il en est « très heureux » – le Journal lui remet à cette époque, lors de son gala, un « Liberty Award » qui reconnaît ses efforts pour renforcer les liens entre Israël et les États-Unis. Sa fille Ivanka Trump, ancienne mannequin devenue femme d’affaires, a épousé l’homme d’affaires juif orthodoxe Jared Kushner. Depuis, elle s’est convertie, éteint son portable le shabath et porte la jupe sous le genou.
Sa dernière réplique, sur l’interdiction de territoire américain aux musulmans, soulève tout de même pas mal de craintes, notamment chez les juifs américains. Le 7 décembre 2015, après les attentats de Paris du 13 novembre et la fusillade terroriste de Californie, qui a fait quatorze morts à San Bernardino le 2 décembre, Trump propose de cesser d’accueillir tout musulman sur le territoire américain « tant que les autorités n’auront pas trouvé le moyen de contrôler ce qui se passe ». Douze organisations juives majeures réagissent aussitôt, pour s’opposer à ces propos extrêmes et jugés dangereux. L’Anti-Defamation League estime que cette proposition s’oppose aux valeurs américaines. L’American Jewish Committee se dit profondément interpellé par le caractère raciste de cette sortie. Le B’nai B’rith International refuse cette attaque à l’encontre d’une communauté religieuse entière. Le Jewish Council for Public Affairs, le puissant JCPA, voix de la communauté juive organisée dans la sphère publice, rappelle que l’Amérique repose sur la liberté de religion et avertit du danger que représenterait un sacrifice fallacieux de cette valeur à la lutte pour la sécurité. La Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations, organisation qui représente la communauté juive dans les débats de politique étrangère, a déclaré au journal juif JTA qu’elle rejetait, « évidemment », ce programme. Parmi les associations religieuses, l’Orthox Union, le Rabbinical Council of America (orthodoxe), la Rabbinical Assembly (conservative – massorti, c’est-à-dire traditionnaliste), le Religious Action Center of Reform Judaism (liberal) et la Reconstructionist Rabbinical Association ont tous exprimé leur désaccord avec la proposition de Trump. Au niveau des organisations politiques, J-Street, le lobby qui soutient Israël avec des positions plutôt de gauche (il se présente comme une alternative au lobby AIPAC, de droite) et le National Jewish Democratic Council, se sont également opposés farouchement à pareille idée, appelant, pour cette dernière organisation, les juifs républicains à prendre eux aussi position.
Restent quelques organisations juives américaines qui demeurent muettes ; elles se situent à droite par rapport aux questions israéliennes et côté républicain en politique intérieure. L’AIPAC (l’American Israel Public Affairs Committe), la Républican Jewish Coalition et les Jewish Federations of North America n’ont fait aucun commentaire. La Zionist Organisation of America, à l’extrême-droite, n’a pas commenté directement, mais a exprimé son refus de voir arriver sur le sol américain des soutiens syriens d’ISIS.