Pour son discours inaugural parmi les immortels, l’auteur de La Défaite de la Pensée a respecté le protocole en faisant l’éloge de son prédécesseur.
« Un petit-fils de déporté au siège d’un ancien collabo ». La phrase est lapidaire. Elle est pourtant prononcée par Alain Finkielkraut lui-même, lors de son discours d’intronisation à l’Académie française. Le 28 janvier, l’auteur du Juif Imaginaire fait son entrée en grande pompe sous la coupole et reprend cette charge prononcée par ses détracteurs, contre lui et Félicien Marceau. Sous l’œil attentif des 40 académiciens en habits verts, d’une trentaine de journalistes et autant d’invités prestigieux, l’homme qui « ne sait pas ne pas réagir » répond aux accusations d’antisémitisme qui visent son prédécesseur et qui le touchent de fait, lui, juif ashkénaze indéfectible.
Pour justifier la nature injuste de cette condamnation, le philosophe joue au détective. Factuel, il déterre les écrits de Félicien Marceau dans les colonnes de L’Avant-garde. « L’antisémitisme est un sentiment de petit-bourgeois. Le petit-bourgeois mal élevé qui lourdement fait ressortir « sa supériorité de race ». On comprend qu’il y tienne : c’est la seule qu’il ait et elle n’est basée que sur un préjugé » (mai 1934). De fait, l’époque a vu naître des collabos plus complaisants avec l’antijudaïsme, que ce journaliste d’origine belge.
Pour Alain Finkielkraut, les preuves qui accablent son prédécesseur sont fabriquées: le Conseil de guerre de Bruxelles n’a retenu à sa charge que cinq textes, sur trois cents émissions données. « Deux chroniques sur les officiers belges restés en France, une interview d’un prisonnier de guerre revenant d’Allemagne, un reportage sur le bombardement de Liège et une actualité sur les ouvriers volontaires pour le Reich.» Là aussi, on a connu plus coopérant avec l’ennemi. Bien entendu, « les sujets n’étaient pas neutres », mais « cela ne suffit pas à faire de lui un fanatique de la collaboration ». Le nouvel académicien juge alors cette condamnation par contumace à 15 ans de travaux forcés en plus d’une déchéance de nationalité, « exorbitante ». Le général de Gaulle sans doute avait vu plus juste en le graciant de sa peine, lui qui n’était pourtant pas un frileux.
Dans ce discours qui inaugure son statut d’immortel, Alain Finkielkraut réhabilite Félicien Marceau et au travers de la défense de l’écrivain, répond à ses propres détracteurs : la « bien-pensance », la « doxa » qui se trompent de cible et qui confondent la victime et le bourreau. « La morale de toute cette affaire, ce n’est certes pas que le temps est venu de tourner la page et d’enterrer le devoir de mémoire mais qu’il faut impérativement sortir celui-ci de « l’œuf » où il a pris ses quartiers pour lui rendre sa vérité et sa vérité perdues » conclut-t-il, sous les applaudissements de l’assemblée.