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Cinéma

François Margolin : « Censurer mon film Salafistes, c’est nier le réel »

L’Arche Magazine s’est entretenu avec François Margolin, l’un des deux réalisateurs du film qui plonge au cœur de l’ultraviolence djihadiste et qui filme face-caméra des salafistes faisant l’apologie de la charia. Lors de cet entretien, le cinéaste a réagi à l’interdiction du film aux mineurs promulguée par le ministre de la Culture et a expliqué son choix de ne pas apposer des commentaires sur les images. Selon lui, la censure s’explique par un refus de faire face à la réalité douloureuse que dénonce le film.

Photo Yann Revol Photo Yann Revol


L’Arche : Le 27 janvier 2016, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a promulgué l’interdiction de votre documentaire, Salafistes, au public âgé de moins de 18 ans. Comment interprétez-vous cette décision ?

François Margolin : Comme une sorte de censure, en plus hypocrite. Officiellement, cela permet à des salles de le diffuser, mais l’interdiction aux mineurs empêche les chaînes de télévision de le programmer. Ironie du sort puisque ce sont deux chaînes qui ont financé le film, avant de se dédouaner subitement.
Pire, cette interdiction rend impossible toutes les projections/débats que nous avions organisés avec les enseignants, dans les collèges et les lycées de France. Nous avions déjà fixé des rendez-vous avec les municipalités, notamment dans le 93 où nous devions débuter un travail pédagogique important. Après cette décision, ces projections ont été annulées et interdites. Même les extraits ne peuvent pas passer à la télévision à partir d’une certaine heure… cela revient à la condamnation du film à mort.
Interdire un film aux moins de 18 ans, c’est le classer dans une catégorie de films très spécifique, qui ne s’applique en général qu’au cinéma pornographique. Cela n’est jamais arrivé à un documentaire, depuis que ce type de législation existe.


Les principales critiques formulées à l’encontre de votre film, concernent le manque de contextualisation des images et l’absence de voix off. Avez-vous choisi de ne pas expliciter les images, par peur des représailles des salafistes ?

Pas du tout. Mon cinéma est fait comme ça. J’ai été assistant de Raymond Depardon qui ne fait jamais de commentaire dans les films qu’il réalise. J’admire l’œuvre de Claude Lanzmann qui ne fait pas non plus de commentaire. Je me contente, comme lui, de mettre quelques lignes en début de film. Les miens sont néanmoins plus courts (rire).
Je suis issu de ce cinéma-là. Les reproches viennent des personnes qui ne connaissent rien aux documentaires ou de la part de la ministre de la Culture, qui n’y connait pas grand-chose. Ces gens jugent ce documentaire à partir de ceux qu’ils voient à la télé et dans lesquels des journalistes commentent n’importe quelle image en faisant n’importe quoi. Je n’ai rien contre mais ce n’est pas ma façon de faire des films.
En 2005, j’ai réalisé Les Petits soldats, un film tourné au Libéria, dans lequel des enfants-soldats racontent les exactions qu’ils commettent. Il n’y avait pas de commentaire non plus. En 2000, j’ai tourné L’Opium des Talibans, le premier film sur les Talibans en Afghanistan dans lequel il n’y avait quasiment pas de commentaire non plus, pourtant à l’époque, personne ne me l’a reproché. Les salafistes y disaient des choses quasiment aussi monstrueuses que dans ce film-là.


Considérez-vous, que vous « pariez sur l’intelligence des spectateurs » en choisissant de ne pas expliquer les images ?

Oui. Celle des spectateurs et des téléspectateurs. Le cinéma n’est pas fait pour surligner les choses et celui-ci est assez clair. Ce travail, pour lequel nous avons risqué notre vie, montre le projet des salafistes, pour que cela soit su. Les salafistes face-caméra, déclarent la guerre à l’Occident, à leur façon de vivre. Ce film permet de savoir ce qu’ils ont dans la tête. L’avoir fait est presque une mission de salut publique.
D’ailleurs, on ne s’attendait pas du tout aux reproches auxquels on a droit en ce moment. Pendant plus d’un mois, nous avons montré le film à tous les spécialistes de la question comme Gilles Kepel, Romain Caillet, David Thompson… tous étaient très admiratifs du travail accompli. En décembre, nous étions passés au Petit Journal sur Canal +, pour annoncer sa sortie et les remarques étaient élogieuses. Puis, il y a eu un déchaînement. Un déchaînement d’Etat, appuyé par quelques journalistes influençables…


Voulez-vous dire que ce qui a poussé à la « censure » de votre film est d’ordre idéologique ?

Oui. Une idéologie en vigueur depuis quinze ou vingt ans en France, qui consiste à nier la réalité, à nier ce qui se passe. A nier le fait que cette pensée totalitaire fait objectivement partie d’une frange de l’Islam. On n’a pas le droit de dire que les salafistes ont un programme, un projet politique, et qu’ils ne sont pas des loups solitaires. Ce film le dit. Depuis le début de ce projet, il y a une politique d’Etat qui consiste à nier la réalité que dénonce ce film.


Abderrahmane Sissako qui s’est retiré du projet en 2012, a réalisé depuis Timbuktu qui présente de nombreuses similitudes avec votre film. Considérez-vous qu’une partie de votre travail a été pillé ?

Ce qui est certain, c’est qu’en quittant le projet il s’est retrouvé avec une partie des rushs et que de nombreux plans de Timbuktu ressemblent fortement à ceux de Salafistes. Un certain nombre de personnages aussi. D’ailleurs le film Salafistes devait s’appeler initialement Talking Timbuktu, assez proche du nom de son film comme vous le voyez (rire).


Vous lui en voulez ?

Objectivement il a pillé une partie des images… J’ai appris que sur le tournage de Timbuktu, il passait régulièrement des rushs de Salafistes à son équipe pour montrer comment faire, pour que ce soit le plus inspiré de la réalité possible. Ce qui n’empêche pas à Timbuktu d’être un très bon film et à Abderrahmane Sissako d’être un réalisateur très talentueux. C’est d’ailleurs parce que je trouve qu’il a beaucoup de talent, que je lui avais proposé de se joindre initialement à ce projet.


Avez-vous d’autres projets de ce type pour l’avenir ?

Je participe à un film sur les peshmergas au Kurdistan, sur ceux qui combattent Daesch. Il a été tourné cet été et sortira bientôt sur les écrans. Je ne peux pas vous en dire plus. Je produis aussi un film de Danis Tanovic, un réalisateur bosniaque qui a eu l’Oscar en 2001 pour No Man’s Land.