La rétrospective consacrée à Akira Kurosawa, avec neuf films projetés à partir du 9 mars, est un événement majeur, permettant d’oublier l’inondation des écrans par la saga Lucas et, paradoxalement, de rappeler la source d’inspiration très éloignée du réalisateur japonais sur le petit monde des sabres rouges et bleus.
Lorsque Mad publia un pastiche de Star Wars en 1978, les avocats des studios menacèrent le magazine d’un procès avec un courrier qui était tout sauf amical. William Gaines, le fondateur et rédac chef de Mad répondit en envoyant la copie d’une lettre adressée par un certain George Lucas louant l’immense talent des caricaturistes de Mad.
George Lucas a toujours eu un grand sens de l’humour. Surtout lorsqu’il avait la prétention de produire une œuvre de science fiction avec Star Wars. Car on peut enfin en parler de cette longue et pénible blague que représente la saga depuis 40 ans. Maintenant que les sacs de supermarché, les musées nationaux, les dizaines de hors-séries produits par toute la profession, les brosses à dents et brosses capillaires aux fonctions multiples cèdent enfin un peu de place sur les rayons des magasins et panneaux d’affichage, matraquage digne d’une campagne nord-coréenne.
Pourquoi tant de haine pour des films qui ont le mérite de distraire les maternelles ? Parce que non seulement Star Wars a la prétention d’être un film de science fiction, mais qu’il a tué le genre. Il voit le jour au milieu de cette âge d’or entre 1968 (2001, La Planète des singes) et 1982 (Blade Runner, Dark Crystal) où la science fiction commence à disposer d’effets spéciaux crédibles et d’histoires qui le sont encore. Plus que de la simple science-fiction, il s’agit de films d’anticipations. De véritables documentaires décrivant il y a 40 ans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Qu’il s’agisse de Rollerball, Westworld, Stepford Wives, Logan’s Run, Silent Running…
Mais voici que par anticipation aussi des personnages disneyens débarquent au cinéma en 1977 en agitant leurs sabres rouges et bleus. Justice est donc faite lorsque Disney récupère cette histoire où s’affrontent les gentils et les méchants, manichéisme bien souligné par les références contemporaines. George Lucas, après avoir reçu une somme délirante pour les droits, a eu assez d’humour pour ne pas apprécier le numéro 7 sorti sur tous les écrans de Wellington à Tokyo. Justice aurait été de donner ces quelques milliards versés aux spectateurs, à titre de compensation, souffrant de voir le film pour faire plaisir à leurs enfants. Il était d’ailleurs curieux que Star Wars 7 ne soit pas interdit aux plus de huit ans.
La force de Star Wars, pour utiliser un mot qui leur est cher, est d’avoir vivement encouragé, par leurs armées de produits dérivés, les petits enfants à voir le film sous peine d’être moqués à la cour de récré. D’avoir aussi forcé les distributeurs à imposer le film dans les salles, comme s’en plaignirent Tarantino et d’autres, relégués aux séances du lundi matin en salles obscures lorsque « l’événement cinécanonique » tenait séance pendant deux mois.
Le seul petit atout de la série de films était d’avoir un « méchant » crédible en la présence de Dark Vador. Mais cela ne nous était même pas « offert » par le dernier épisode. Le fils de Han Solo ne ferait même pas peur à un Ewok et certainement pas au banquier de Harrison Ford, trop occupé à rire sur le montant perçu par la star pour ce rôle.
Une chose est sûre, les fans de Star Wars offensés par cet article et les autres préférant les films inventifs, devraient se retrouver prochainement dans les salles pour (re)découvrir l’œuvre de Kurosawa. Le réalisateur japonais a tutoyé les rêves et les époques, attaché aux samouraïs du Moyen-Âge et aux yakuzas contemporains. La Forteresse cachée (1958) a plus qu’inspiré George Lucas. On y retrouve la trame de Star Wars, avec bien entendu moins d’effets spéciaux et un scénario plus épais. Et avec un humour volontaire, illustré par le ridicule des personnages et situations et non comme dans la fable galactique celui du scénario.
La rétrospective consacrée à Kurosawa se déroulera en deux parties. Tout d’abord, neuf films seront présentés, parmi lesquels deux inédits en France. Avec, bien entendu, la présence importante de Toshiro Mifune, éternel samouraï se distinguant parmi les sept et premier rôle dans tant d’autres films du maitre. Un monde d’hommes, de samouraïs fidèles et de ronins rongés par le doute.
Mais aussi, dans cette première partie, des films politiques, parlant des souffrances contemporaines. Sans oublier le sublime Je ne regrette rien de ma jeunesse, un film féministe tourné en 1946, dans un Japon tentant de se reconstruire. Kurosawa y montre une femme forte, interprétée par Setsuko Hara, indépendante, critique des ambitions martiales des hommes et témoin de leur lâcheté, en dehors de cet amant impossible.
Alors oui, ceux qui désirent découvrir ou revisiter l’œuvre d’un monstre du cinéma qui permit à l’Asie et à l’Occident de se tutoyer par écrans interposés pourront se retrouver dans les mêmes salles, le temps d’un festival, que ceux qui souhaiteront briller en soirée en pérorant sur l’influence de Kurosawa sur leur dieu Lucas et ses sept samovars.