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Antisémitisme

Lutter contre la haine sur la toile

Entretien avec Dominique Sopo et Sacha Reingewirtz.

Dans le cadre des dixièmes commémorations rendant hommage à la mémoire d’Ilan Halimi, assassiné parce qu’il était juif, L’UEJF et SOS Racisme ont commandité un sondage auprès de l’Institut de sondage IFOP autour de l’antisémitisme.

Ce sondage montre que l’affaire Ilan Halimi a profondément marqué l’opinion. Deux tiers des Français disent s’en souvenir, et pour 69 % des personnes interrogées, l’assassinat constitue un symbole de ce à quoi peuvent conduire les préjugés sur les juifs. Pour autant, les préjugés et stéréotypes associés aux juifs se maintiennent à un niveau non négligeable. Parmi les préjugés les plus tenaces, celui que les juifs seraient plus riches que la moyenne des Français (31%). La séquence tragique des attentats de 2015, notamment celui de l’Hypercacher, n’a que marginalement fait évoluer l’intensité des préjugés à l’égard des juifs.

Une polémique est néanmoins née sur les réseaux sociaux, à partir d’un focus photographique diffusé sur twitter, d’une partie de l’enquête publiée par Le Parisien, reprochant au sondage la formulation de certaines questions. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme et Sacha Reingewirtz, président de L’UEJF, reviennent avec nous sur cet emballement numérique.

 

L’Arche : Comment expliquer cette réaction ? 

Dominique Sopo : Les réseaux sociaux sont malheureusement devenus un lieu de polémiques stériles et lancées avec une certaine malhonnêteté afin de susciter le « buzz » auquel certains semblent être « accros ». Ainsi, le sondage a été fort opportunément présenté dans sa version partielle, par un montage qui retirait le titre de l’article choisi par Le Parisien « Les préjugés restent tenaces ».

Quant à l’enclenchement de la « polémique », elle me semble venir de deux catégories. Des Juifs qui reçoivent de façon très violente la réalité des préjugés antisémites qui continuent à circuler dans la société. Et ceux qui, coutumiers du fait, essaient de taire l’antisémitisme en essayant de recouvrir la réalité de ce dernier par leur bruit grossier.

Sacha Reingewirtz : Cette réaction est surprenante. La vrai débat, c’est celui de la persistance des préjugés antisémites dans notre société. Et de savoir comment on peut les faire reculer, malgré toute la libération de la parole de haine au quotidien, dans la rue ou sur Internet …

 

Doit-on s’en inquiéter ? 

Dominique Sopo  : Il ne faut pas donner à ces polémiques plus d’importance qu’elles n’en ont. Il serait bon de ne pas passer son temps à commenter ce que dit la « twittosphère » qui n’est souvent pas représentative des réactions dans la société et qui, à coups de messages en 140 signes, n’est certainement pas le lieu de la pensée. S’il y avait à s’inquiéter, cela viendrait du fait que les médias ont pour plusieurs d’entre eux relayé cette « polémique » du moment, plutôt que de s’intéresser à ce que montrait le sondage. Dans le cadre de la commémoration des 10 ans de l’assassinat d’Ilan Halimi, enlevé, torturé et assassiné parce que juif, la décence aurait du être au rendez-vous. Elle ne l’a malheureusement pas toujours été.

Sacha Reingewirtz : Oui. Il faut s’en inquiéter. Je vois une forme de déni de réalité, qui au lieu de faire le constat de la prévalence des préjugés dans notre pays, reproche à ceux qui font le job sur le terrain de rappeler ce qui ne va pas.

 

Pourquoi ces interrogations ont-elles suscité plus de réactions, sur le web, que les pourcentages de réponse aux items ?

Dominique Sopo  : Parce que la stupeur de ceux qui reçoivent les réponses de façon violente, parce que la bêtise de l’amour du buzz, parce que la bêtise et sa malveillance.

Sacha Reingewirtz : Peut-être aussi parce que certains se sont limités à faire du buzz sur un chiffre du sondage, sans le mettre en perspective avec toute l’étude qui donne une analyse construite de l’état des préjugés antisémites dans notre pays, et permet de comprendre ce qui a bougé depuis 10 ans. Et de dégager ainsi des perspectives intéressantes, qui montrent que notamment que le travail de pédagogie et d’échange fonctionne, puisque on voit qu’en dépit des préjugés tenaces, l’antisémitisme est aujourd’hui mieux compris par l’ensemble des Français, qui font preuve de plus solidarité qu’avant.

 

Y-a-t-il un éventuel lien avec le mouvement similaire qui avait entouré dernièrement un sondage dans le JDD ? 

Sacha Reingewirtz : C’est probable. Est-ce que pour autant cela veut dire que l’on ne peut plus faire appel à aucun sondage pour travailler sur le racisme ? Ce serait désolant et contre-productif, parce que c’est l’un des outils de mesure les plus adaptés pour connaître l’état des représentations et des stéréotypes. Depuis des années, toutes les études sérieuses sur le sujet, notamment celles commandées par le gouvernement, travaillent avec ces mêmes séries de question.

Dominique Sopo  : Il y a un lien, en partie, seulement. L’étude publiée par le JDD comportait des bizarreries sur la méthodologie et des incongruités majeures sur les items qui menaient au formatage d’une réalité faisant par exemple des catholiques une catégorie ethnique – de fait et en creux : les Blancs – plutôt que de laisser ouverte la complexité des identités. J’y vois un autre lien typique des réseaux sociaux et du fonctionnement médiatique. L’étude du JDD a fait une polémique, il fallait donc chercher la nouvelle polémique sur le même sujet. Pourquoi cette recherche ? Car cela permettait à ceux qui regrettaient de ne pas avoir été leaders sur le « buzz JDD » de se rattraper et de contenter leur followers. Et cela permettait également de réactiver à faible effort intellectuel une émotion déjà ressentie quelques jours auparavant.

 

Que viennent dire ces réactions du combat contre le racisme et l’antisémitisme ? 

Dominique Sopo  : Ces réactions viennent dire deux choses essentielles. Premièrement que le combat contre le racisme et l’antisémitisme, qui nécessite de lutter sur le temps long contre des préjugés dont Einstein disait qu’ils étaient plus durs à désintégrer qu’un atome, est soumis à la logique de la mode et du buzz. C’est donc une vraie complexité dans la capacité à mener ce combat qui doit être fait de permanence, de temps long et d’abnégation.

Deuxièmement que ce combat est soumis à des réactions d’une extrême sensibilité. Cela rend ce combat très compliqué car l’extrême sensibilité rend très complexe la fraternité qui nécessite une confiance en l’autre, ce qui est d’autant moins facile dans les périodes de tensions. Dans de telles périodes, ceux qui ont le vent en poupe sont ceux qui jouent sur les mauvaises passions, qui travaillent au repli, qui sèment les graines de la méfiance qu’ils présenteront comme la salutaire protection face à un monde composé d’Autres ontologiquement hostiles. Mais c’est lorsque le combat est dur qu’il faut d’autant plus le mener. Quand il sera plus simple, nul doute que beaucoup voleront au secours de la victoire.

Sacha Reingewirtz: Mener le combat contre le racisme et l’antisémitisme, cela veut dire être le poil à gratter de la société. Et quand l’on pointe des choses qui vont mal, cela ne fait pas toujours plaisir à tout le monde ! Le travail de lutte contre les préjugés est notre priorité et demande beaucoup d’énergie au quotidien. Mais ce travail fonctionne, et nous allons renforcer dans les mois qui viennent tous nos programmes de dialogue et de rencontre qui permettent de garder de l’espoir dans l’avenir.

Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer