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Littérature

Le roman de Poutine

En janvier dernier, Macha Fogel publie « Quelques heures cruciales dans le dojo du président de la Grande Russie » aux éditions Lemieux. Un premier roman prometteur, dans lequel celle qui a été deux années correspondante en Russie imagine un dirigeant soviétique original, solitaire, qui ressemble par certains aspects à l’actuel président, Vladimir Poutine. Il pratique aussi régulièrement le Sambo, un sport de combat peu connu aujourd’hui, qui a pourtant traversé le XXème siècle. Ce livre saisit la fiction pour raconter l’Histoire et ramène à la vie des événements d’une époque, oubliée.

 

L’Arche : Vous qui êtes journaliste et spécialiste de la Russie, vous avez choisi un conte pour raconter une multitude d’anecdotes sur l’histoire du plus grand pays du monde. Pourquoi avoir préféré la fiction au réel pour partager vos connaissances ?

Macha Fogel : Le premier élément de réponse a votre question réside dans le fait que, s’agissant de la vie privée des dirigeants vivants de ce grand pays, je n’ai pu avoir accès à aucun « scoop ». Toutes les informations livrées au public sont minutieusement contrôlées, comme vous pouvez vous le figurer. Il m’était donc impossible de rédiger, par exemple, une enquête sur la vraie vie de Vladimir Poutine. Je n’aurais pu que compiler des informations et des rumeurs. Si j’avais été un essayiste ou un universitaire, j’aurais pu, comme l’ont d’ailleurs fait de brillants auteurs, dessiner sur la trame de cette compilation une analyse historique ou politique. Mais je ne suis pas un universitaire. Le deuxième élément de réponse est donc tout simplement ce que je suis ou bien, disons, ce que ce livre a fait de moi : un écrivain. En écrivant ce roman, ce conte, j’ai voulu non seulement partager des connaissances, comme je l’ai fait par ailleurs avec plaisir à travers mon métier de journaliste, mais surtout œuvrer à donner au lecteur une vision du réel subjective, personnelle, étrange peut-être.

 

Le « président de la Grande Russie » est un nostalgique des heures bolcheviques, célèbre le culte de la force, hait la faiblesse… Considérez vous que ce personnage a des traits communs avec l’actuel président Vladimir Poutine ? Plus largement avec les grands dirigeants russes ?

Pour décrire ce héros, je me suis beaucoup inspiré d’éléments biographiques de l’actuel Président russe, mais il s’agit d’un autre personnage. Je ne sais pas si Vladimir Poutine hait la faiblesse, je serais bien incapable de le dire. Qu’il célèbre dans ses discours et ses décisions, militaires ou intérieures, la force de son pays ; qu’il regarde avec nostalgie certaines époques de l’histoire de l’Union Soviétique, les années 1960 et 1970 en particulier, qui correspondent à sa jeunesse, cela me semble en revanche clair et assumé. La fascination de la force et du pouvoir, la glorification du courage à la guerre, la valorisation de la défense de la nation, de la loyauté, du sang versé, du sacrifice, de l’esprit de discipline sont sans doute très puissantes en Russie… mais elles le sont tout autant dans bien d’autres civilisations, n’est-ce pas? Il me semble certes qu’en Russie, en ce moment, se développe un discours nationaliste très puissant, qui aurait tendance à exclure de la société ceux qui n’y adhérent pas totalement. Encore une fois, ce n’est pas le cas seulement en Russie, loin de là – mais le fait qu’il s’agisse du « plus grand pays du monde » rend les enjeux particulièrement forts.

 

Le sambo est un sport de combat qui doit sa naissance à une croisée des chemins entre la Russie et l’Asie.  Pourquoi votre personnage principal s’y plonge-t-il à corps perdu ? Qu’est-ce qui différencie cet art martial par exemple du judo ou du karaté ?

Le sambo (un acronyme russe qui signifie : auto-défense sans armes) a été inventé entre les deux guerres mondiales par deux personnes qui ont travaillé de manière parallèle avant que leurs enseignements ne soient réunis. L’un d’entre eux, dont je décris le destin, tragique, dans le livre, Vassily Ochtchepkov, avait appris le judo au Japon, dans une institution religieuse orthodoxe  où il avait été recueilli après la guerre de 1905, puis a l’école du fondateur du judo, Jigoro Kano. Devenu adulte, il a inventé son propre judo, un judo a la fois personnel et national, dans lequel il mêlait l’enseignement de son maitre japonais et les techniques de combats traditionnelles des nombreux peuples de Russie. Le deuxième créateur du sambo, Viktor Spiridonov, avait combattu dans l’armée du Tsar au cours de la guerre contre le Japon et de la Première Guerre mondiale. Il a estimé, après ces dures expériences, que les soldats russes – puis soviétiques – devaient apprendre une technique d’auto-défense qui leur permette de lutter contre leur propre désarroi sur le champ de bataille et de survivre face a un ennemi puissant. Lui aussi s’est inspiré des arts martiaux asiatiques, mais aussi de la lutte romaine, de la boxe anglaise, française, de très nombreux arts de la lutte a travers le monde. En définitive, le sambo emprunte au judo, en partie, son caractère philosophique (le judo fonctionne comme une clé de vie, avec des principes moraux à appliquer en toutes circonstances, et non seulement sur le tatami) et surtout son rapport à la force : le lutteur ne compte pas seulement sur sa propre force, il utilise aussi et surtout celle de l’adversaire. Mais il ajoute à cela une recherche purement martiale de l’efficacité, puisqu’il doit pouvoir servir sur le champ de bataille. Cela donne un art spectaculaire.

 

Pouvez-vous expliquer pourquoi Staline a décidé d’interdire le sambo? 

En 1937, année d’une répression particulièrement cruelle en Union Soviétique, le sambo a été accusé de venir de l’étranger – en effet, il trouvait son origine dans le judo japonais – et donc d’être antipatriotique. Je pense que le pouvoir n’appréciait pas que des individus puissent apprendre à manier la force en dehors d’un cadre strictement contrôlé. Or, les principes du sambo faisaient appel à l’initiative individuelle. Ochtchepkov a été tué par la police politique et Spiridonov est mort oublié. A leur place, le pouvoir soviétique a honoré une personnalité plus « sure » politiquement, Anatoly Kharlampiev. L’histoire de ce sport est restée inconnue jusqu’a la publication très courageuse, en 1982, d’un livre passionnant sur le sujet par un chercheur nommé Mikhail Lukachev, qui fut décrié a l’époque, et dont j’utilise abondamment les travaux dans mon livre.

 

Quels sont vos projets pour l’avenir? Avez-vous l’intention d’écrire un second roman qui retrace de nouveau en filigrane l’histoire de la Russie?

J’ai écrit ce premier livre à mon retour de deux ans passés à Moscou, où j’étais correspondante. J’habite désormais à New York, aux Etats-Unis, où je travaille pour une organisation d’études juives. Tout a changé, vous voyez! J’ai en effet de nouveaux projets, je réfléchis à un deuxième roman. Mais son cadre sera très différent. Je vous laisse le deviner!