La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
Littérature

Le roman de l’Azerbaïdjan

Après avoir été le conseiller scientifique du film « Shalom, Bakou », qui sillonnait les paysages de la capitale Azerbaidjanaise, Jean-Pierre Allali déclare une nouvelle fois son amour pour un pays encore trop méconnu. Dans « Les douze pierres de Quba » publié aux éditions Glyphe, cet auteur prolifique raconte l’histoire d’un éminent archéologue israélien envoyé par l’Unesco en Azerbaïdjan, son pays natal, pour résoudre le mystère que cachent les douze stèles découvertes à proximité de la grande synagogue de Quba. L’œuvre romanesque déploie une intrigue scientifique, voit naitre une histoire d’amour, mais surtout, raconte en filigrane l’histoire surprenante de la communauté juive locale. Les nombreux éléments historiques permettent de faire découvrir au lecteur cette région du monde si particulière, qui partage l’une de ses frontières avec l’Iran.

L’Arche : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’Azerbaïdjan  et d’écrire un roman pour le raconter ?

Jean-Pierre Allali : L’histoire a débuté il y a quelques années, lors d’une réunion du comité exécutif du CRIF dont je fais partie, lorsque le président de l’époque, Richard Prasquier, a expliqué avoir reçu une proposition de l’ambassade de l’Azerbaïdjan d’un voyage organisé, pour aller à la rencontre des communautés juives de ce pays. J’ai d’abord été très étonné car je ne me doutais pas qu’il y avait des juifs en Azerbaïdjan. Par curiosité, je me proposé de faire partie des cinq personnes désignées pour faire le voyage.

Puis j’ai découvert un pays exceptionnel et pas seulement parce qu’il y vit une très ancienne communauté juive. J’ai découvert un pays musulman chiite à la société strictement laïque, quelque chose d’exceptionnel, qui n’existe plus à notre époque. Car même si certains pays musulmans sont encore plus ou moins laïcs, pour la plupart d’entre eux, la religion reste inscrite dans la constitution. En Azerbaïdjan, le pays est strictement laïc, pour preuve, les femmes peuvent porter des jupes courtes sans que cela ne pose problème. De plus, il y existe un pluralisme religieux important : de nombreuses communautés vivent entre elles paisiblement. C’est donc un pays où il fait bon vivre.

Après cette découverte, j’ai eu envie de faire connaître ce pays et j’ai pu le faire à deux occasions : j’ai d’abord sillonné les villes avec une équipe de tournage pour le film « Shalom, Bakou » dirigé par Muriel Abitbol-Lévy, puis j’ai décidé dans un second temps d’en écrire un livre. Non un livre d’histoire puisque je ne suis pas historien, mais un roman qui déploie une intrigue tout en décrivant l’histoire, les villes, les populations, et l’ambiance de l’Azerbaïdjan.

A propos de cette communauté juive que vous décrivez dans votre livre, est-elle conséquente ? Certains d’entre eux font-ils aussi leur Alya, à l’image de la famille d’Abraham, le héros de votre roman ?

Il y a encore quelques années, la communauté juive était très importante : environ 120.000 personnes. Puis au fil des ans, beaucoup ont choisi d’aller vivre ailleurs et principalement en Israël. Ceux qui ont pris leur décision de faire l’Alya reviennent régulièrement dans leur pays d’origine, ils font des allers-retours et ont gardé leur maison de famille. On ignore que certaines personnalités sont originaires de ce pays comme par exemple l’acteur Robert Hossein, mais aussi au joueur d’échec Garry Kasparov, qui est un natif de Bakou, comme le prix Nobel de chimie Lev Landau, de même que le violoncelliste Mstislav Rostropovitch…

Parmi les 25.000 qui ont décidé de rester, une grande partie vit dans la capitale Bakou et environ 4.000 personnes, ceux qu’on appelle « Les juifs des montagnes », vivent dans la ville de Quba. Cette ville comporte des sortes de shtetls, une vraie vie juive retranchée, avec trois synagogues où les gens parlent pour la plupart couramment l’hébreu. Il y a aussi une petite communauté qui demeure dans la ville d’Ogouz. Ces trois villes sont évoquées dans mon roman.

Vous écrivez dans votre livre qu’Israël reçoit 40% de ses besoins en énergie de l’Azerbaïdjan. Le commerce entre ces deux pays est-il si développé ?

Oui ce pays est tout à fait singulier à cet égard : non seulement c’est un pays musulman chiite dont la société est laïque, mais en plus, ses politiques entretiennent d’excellentes relations diplomatiques et économiques avec Israël. D’autres pays musulmans entretiennent des relations avec Israël, comme les Emirat ou la Tunisie, mais celles-ci restent plus ou moins discrètes. Il s’agit là d’une relation officielle. Il m’est arrivé de me balader sur une place à Bakou et de découvrir le drapeau d’Israël flotter sur un bâtiment.

J’ai rencontré plusieurs fois l’ambassadeur d’Israël là-bas qui m’a confirmé ce que j’avais pressenti : les relations économiques entre ces deux pays sont excellentes. Ils commercent beaucoup, notamment parce que l’Azerbaïdjan a découvert des nappes de pétrole et de gaz récemment. Ce chiffre de 40% date cependant d’il y a deux ou trois ans. Entre temps Israël a aussi découvert un gisement de gaz appelé Léviathan, ce qui lui permet d’être de moins en moins dépendant des autres pays.

Votre roman mêle une histoire d’amour, une recherche archéologique, des éléments historiques, une histoire fictive… Comment avez-vous construit cette intrigue ? Pouvez-vous nous la raconter ?

Il est difficile de faire un roman qui satisfasse le lecteur, sans qu’il n’y ait de l’amour et du mystère. Une histoire d’amour démarre dès le début du roman, puisque dès les premières pages le héros, Abraham rencontre dans l’avion qui le transporte vers Bakou, une jeune femme qui lui plaît ce qui signe le début d’une idylle. Il me fallait un pôle attractif, alors j’ai mis différents piments dans ce roman pour accrocher le lecteur et raconter l’Azerbaïdjan, les juifs d’Azerbaïdjan. Un peu, sans prétention, à la manière de Da Vinci Code.

Ce héros est à l’image de ce pays : son père est musulman chiite et sa maman est juive d’origine irakienne. C’est un produit mixte qui porte les deux religions, c’est-à-dire juif par la mère et musulman par le père donc porteur des deux religions et l’histoire veut qu’à un moment donné, sa famille parte s’installer avec lui en Israël. Ce jeune homme azerbaidjanais devient israélien et fait la connaissance d’un juif tunisien, Richard Sitbon, – étant moi-même juif tunisien je n’ai pas pu m’empêcher d’en mettre un dans mon roman -. Il commence par des études de sociologie puis opte finalement pour l’archéologie. Il devient un archéologue célèbre et spécialiste de la langue des juifs des montagnes, langue ancienne qui s’appelle le judo-tat. C’est pour cela qu’on va faire appel à lui lorsque par chance, lors de travaux près de la grande synagogue de Quba, on découvre des stèles avec des inscriptions mystérieuses qui se révèlent être non pas de l’hébreu, bien que comme de nombreuses langues juives elle s’écrit avec le caractère hébraïque, mais du judéo-tat…

Comment avez-vous acquis toutes ces connaissances sur ce pays avant de les faire figurer dans le roman ?

J’y vais régulièrement à l’occasion de colloques. Et à force d’aller dans un pays, de lire ce qui a trait à ce pays, de questionner son histoire, on finit par apprendre des choses. Pour ce qui est du mystère qui utilise la guématria, les chiffres, la numérologie, il se trouve que j’ai une formation de scientifique et plus précisément de mathématicien, donc je n’ai pas eu de beaucoup de difficultés à assimiler des considérations numériques. Pour percer le mystère de la maguen david magique et découvrir le secret que cachent ces douze stèles de Quba, il faut résoudre un mélange de carré magique de sudoku etc. Pour le découvrir il fallait un personnage qui connaisse la langue judéo-tat, et qui soit aussi un connaisseur des mathématiques.

Abraham, le héros de votre roman, est issu d’un mariage mixte : d’un père musulman chiite et d’une mère juive ukrainienne, il hérite des deux religions. Les mariages mixtes sont-ils courants en Azerbaïdjan ?

Lorsque j’ai visité une école primaire juive à Bakou, où des centaines de petits enfants en kippa chantent et étudient en hébreu, j’ai désigné au directeur de l’école un enfant qui était mignon comme tout. Le directeur m’a raconté justement que ce garçon était issu d’un couple mixte : son père était musulman et sa mère juive. Il m’a expliqué que souvent, dans les couples mixtes, les parents préfèrent mettre leurs enfants dans des écoles juives parce qu’ils trouvent que c’est un meilleur enseignement. C’est une caractéristique de ces couples mixtes de l’Azerbaïdjan, où souvent la religion juive se fait plus prégnante chez les enfants issus de couples mixtes. L’enfant hérite davantage des rites juifs que musulmans, c’est là cas de mon personnage Abraham.

Jean-Pierre Allali, « Les douze pierres de Quba », Edition Glyphe.