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Littérature

Gwen Edelman : « Aucun d’entre nous ne peut être consolé »

Cette écrivain new-yorkaise qui a vécu longtemps en France revient avec un roman envoûtant « Le train pour Varsovie » (ed Belfond). Nous l’avons rencontrée.

L’Arche : Il y a 14 ans, vous publiiez «Dernier refuge avant la nuit » (ed Belfond), récompensé par le prix du Premier roman étranger. Vous avez vécu également 14 ans à Paris. Aujourd’hui vous publiez ce nouveau roman et vous êtes de nouveau parisienne. Il y a là une similarité de temps qui ne peut être un hasard….

Gwen Edelman : Ah, je ne m’en étais pas aperçue ! (Rires) J’ai vécu à Paris en prenant des cours à la Sorbonne, puis j’ai travaillé dans l’édition à New York et j’ai ouvert mon agence littéraire. J’ai déménagé une deuxième fois à Paris pour écrire « Dernier refuge avant la nuit », qui raconte une histoire d’amour entre une jeune Américaine et un juif viennois, Joseph, qui a survécu à la guerre. Il s’agit d’un huis clos érotique, d’une exploration du désir et des limites de la morale, traversé par l’influence de la guerre. C’est mon thème de prédilection.

Expliquez-nous pourquoi ?

J’ai grandi à une demi-heure de New York dans une petite ville où nous étions les seuls juifs, d’origine polonaise. Nous n’étions ni religieux, ni adeptes de la tradition et complètement assimilés. À l’âge de 11 ans, je me suis faufilée dans la bibliothèque des grands et j’ai pris le livre « Le dernier des Justes » d’André Schwartz Bart.

Je n’ai pas tout compris mais cette lecture a eu une grande influence sur moi. Il faut savoir que dans les années 60, si l’on évoquait la guerre et le courage des « boys » lors du débarquement on parlait très peu de la Shoah et des victimes, le sujet était occulté aux États-Unis. Ce fut un tremblement de terre pour l’enfant que j’étais.

 

 

Photo de Daphne Youree Gwen Edelman. Photo de Daphne Youree

 

 

Résumez-nous l’histoire de votre nouveau roman.

Il s ‘agit de l’histoire d’un autre couple, Jascha et son épouse Lilka, tous les deux survivants du ghetto de Varsovie. Jascha est devenu un écrivain célèbre à Londres, fêté, courtisé par les femmes. Volage, il a cependant une belle complicité amoureuse avec sa femme. Quand on lui propose de venir parler à un cercle littéraire à Varsovie, le couple hésite. Jascha ne veut pas revenir, son épouse si, par nostalgie. Le séjour ne va pas se dérouler comme ils l’avaient imaginé. Peut-on retourner sur le lieu de sa jeunesse détruite ?

 

Pour ce livre, vous effectuez une plongée saisissante dans la Varsovie de l’avant-guerre puis du ghetto. Comment avez-vous travaillé ?

J’ai effectivement fait beaucoup de recherches, en anglais car je ne parle pas polonais malgré mes origines de là bas. J’ai beaucoup étudié les cartes de Varsovie, les photos, vus les films. Il n’existe pas beaucoup de livres sur la vie à l’intérieur même du ghetto, en tout cas en anglais. Je voulais que tout soit vrai, le nom des rues bien sûr, mais aussi les trafics, la misère, le typhus. J’ai ainsi écrit une scène avec des vaches qui entraient en contrebande dans le ghetto en franchissant une passerelle du cimetière pour être ensuite tuées et mangées. Le marché noir était une nécessité : chaque habitant du ghetto avait droit à 186 calories par jour seulement.

 

Au fur et à mesure que le couple de votre histoire arrive en Pologne, les fantômes ressurgissent et l’angoisse monte…

Oui, mes héros se rendent compte que la ville de leur jeunesse, de leurs familles, n’existe plus. Ils ont tout perdu, la langue qu’ils ne parlent plus, leur pays puisqu’ils sont exilés, leurs souvenirs car la ville a été détruite. Ils sont enfermés dans un traumatisme et en même temps souffrent de ne plus appartenir à aucun lieu. Ils sont inconsolables, comme nous tous. Je voulais montrer que le retour même était impossible, il n’y a pas de consolation.

 

Êtes-vous revenue en Pologne ?

Oui et j’ai eu une curieuse impression, le sentiment de déambuler dans un décor de théâtre à Varsovie. J’ai marché sans fin là où le ghetto s’étendait et j’ai vu des immeubles blancs érigés ensuite sous la période communiste, des arbres alors qu’il n’y en avait pas. Le silence régnait en plus car nous étions en semaine et de jour, alors que le ghetto était en fait très bruyant. J’ai pensé à cette vie vibrante, à ces cris, à ce monde disparu et je me suis senti mal. La vie ordinaire continuait de l’autre côté du ghetto avec des magasins, des femmes maquillées tandis que de l’autre côté du mur, on fusillait tous les jours. Je me suis demandé comment on pouvait vivre ainsi, dans cette ville, avec ces fantômes.

 

Quel a été l’accueil fait à votre livre ?

J’ai reçu un très bon accueil aux Etats-Unis , j’ai présenté mon livre au Musée de l’Holocauste à Dallas et j’ai pu rencontrer des survivants du ghetto qui m’ont confié leurs histoires poignantes. Par contre, sur le net, j’ai reçu quelques lettres injurieuses émanant d’Américains issus de Pologne, contestant la vérité historique du ghetto. Preuve que cette période terrible n’est pas encore, loin s’en faut, acceptée par tous.

 

Le train pour Varsovie de Gwen Edelman, éd Belfond.