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Cinéma

Appartements avec vue sur la mère

No Home Movie*, le tout dernier et ultime film de la cinéaste belge qui s’est donné la mort le 5 octobre 2015, est un objet extrêmement singulier : au long cours, Chantal Akerman y a filmé sa mère dans l’appartement bruxellois où elle résidait et où, imperceptiblement, elle s’étiolait. A chacune des visites de sa fille, la conversation, peu nourrie, roule entre la nourriture et le passé de Natalia Leibel, qui après avoir fui la Pologne en 1938, fut déportée depuis la Belgique. Jamais ce passé ne fait l’objet d’un entretien ; il circule par bribes, aussi librement que l’air et les sons urbains du dehors lorsque la baie vitrée est ouverte. Pour qui connaît les films précédents de la réalisatrice, cette captation d’un lieu, de ses seuils, portes et fenêtres, rappellera La Chambre ou encore Chelsea Hotel, essais expérimentaux dans lesquels le temps s’inscrit à même l’espace, parcouru par divers habitants comme par les mouvements de la caméra et la lumière extérieure.

Mais ce dernier film fait aussi comprendre le lien, dans toute l’œuvre, entre la maison et la mère, dont Chantal Akerman a souvent dit qu’elle lui avait inspiré la femme au foyer éponyme de Jeanne Dielman (1975), obsédée par la routine quotidienne. A la fois cocasses et déchirantes, les séquences où la cinéaste, en déplacement à l’étranger, appelle sa mère par Skype, trahissent l’intensité débordante du lien filial : maintes fois il faut se dire et se redire au revoir, s’embrasser à distance, différer le moment de raccrocher. Sur le petit ordinateur, la sexagénaire et l’octogénaire semblent converser en miroir, chacune maternant l’autre.

D’un côté le mouvement perpétuel d’une artiste voyageant dans le monde entier, de l’autre la crainte que la somnolence croissante de Natalia ne se fige en trépas. Que devenir, une fois la mère décédée ? Le « No » du titre laisse présager le pire, comme l’appartement vide de la fin. No Home Movie dit l’impossibilité aussi bien du film de famille (home movie) que de la maison (no home). En filmant les intérieurs, dans La Captive (son adaptation de La Prisonnière de Proust), le huis-clos d’une demeure coloniale dans La Folie Almayer ou encore le centre commercial coloré de Golden Eighties, Chantal Akerman aura donc condensé et déplacé, à sa manière et pour sa génération, l’expérience des camps racontée par sa mère survivante : lieu de vie, lieu du shabbat, lieu de repli aussi, la cuisine y est la pièce maîtresse, carcérale autant que nourricière.

*En salle depuis le 24 février 2016.

Claire Atherton & Joanna Hogg présentent No Home Movie au cinéma l’Archipel le 9 mars à 20h.

L’Archipel, 17 bd de Strasbourg, 75010 Paris.