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Littérature

Béatrice Philippe : « L’intégration historique des juifs en France est exemplaire »

Dans « Les juifs et l’identité française » publié aux éditions Odile Jacob, l’historienne évoque l’intégration des juifs en France depuis le Moyen-âge, jusqu’à l’affaire Dreyfus, en passant par l’influence de Napoléon dans la structuration du judaïsme français. A partir de documents historiques, elle retrace cette histoire comme pour montrer que la France accueille et que selon la célèbre définition d’Ernest Renan, on devient français à partir d’une volonté de l’être.

L’Arche magazine : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire un livre sur les juifs et l’identité de la France ?

Béatrice Philippe : L’histoire des juifs de France a déjà été écrite à maintes reprises, ainsi ce nouveau livre n’avait pas cette ambition. J’ai écrit moi-même quelques essais historiques à ce sujet et d’autres historiens comme Pierre Birnbaum, l’ont aussi relaté brillamment. Ce livre a vocation à expliquer, dans l’histoire, comment les juifs, cette minorité qui avait été plus ou moins exclue de toute possibilité de prospérer dans des métiers autres que décriés, depuis des millénaires, ont pu s’intégrer en France. Montrer le cheminement historique jusqu’au moment où ils sont devenus français à part entière. Cela rejoint une question éminemment actuelle, à savoir, comment devient-t-on français et comment aime-t-on la France ? Cela a été mon mécanisme de pensée, car je trouve cette intégration exemplaire. Les juifs ont montré qu’il était possible de devenir français à part entière, intégrés, mais que cela n’est possible qu’en passant par un certain nombre de conditions. La présence des juifs en France est ancestrale, et ils ont prié pour le pays où ils ont prospéré, ont respecté leur patrie.

Vous dîtes que cette formule bien connue de Stanislas de Clermont-Tonnerre, à savoir « Tout aux juifs en tant qu’individu, rien en tant que nation peuple » est comprise à tort. Comment l’interprétez-vous ?

On la comprend à tort, on l’interprète de travers parce que cette citation est tronquée, il ajoute que les juifs peuvent garder leurs coutumes, qu’ils peuvent ne pas manger de lapin ou refuser d’épouser une chrétienne, cela ne les empêchera pas de devenir des bons citoyens français. Alors qu’importe leurs rites, pourvu qu’ils fassent partie de la nation. L’ambition de la révolution, c’est d’abord de faire une seule nation. Jean-Paul Sartre, dont je n’aime pas toute l’œuvre, a dit à ce sujet, que la révolution voulait faire des hommes, comme des petits pots du même calibre dans une boîte, parce qu’il fallait construire la France, et parler la même langue : le français. Il faut se rappeler qu’au moment de la révolution, seuls 3 millions de Français parlaient le français. Chaque territoire avait sa langue, certains parlaient le bourguignon, le champenois etc., or une nation c’est une langue.

Vous écrivez : « Dans la mémoire collective des juifs français, Napoléon est longtemps demeuré un libérateur. » Qu’entendez-vous par libérateur ?

J’entends parfois des gens demander si Napoléon aimait les juifs, or cette question n’a pas de sens. Il s’aimait lui d’abord, éventuellement sa femme et encore ce n’est pas évident. En tout cas il aimait l’armée, il voulait construire un empire fort, et qu’on lui obéisse.

Vers les années 1800, la contre-révolution était encore très agressive. De nombreux écrivains pensaient que la révolution était une catastrophe, l’église aussi était très rétrograde, parce qu’elle avait beaucoup souffert de la révolution, on lui avait confisqué toutes ses terres etc. Or, certains contre-révolutionnaires, comme Louis de Bonald s’en prenaient aux juifs, ils étaient pour lui, avec les francs-maçons et les protestants, responsables de la révolution. L’écrivain catholique fait paraître le 5 février 1806 dans Mercure de France, un article dans lequel il accuse la religion juive de favoriser la « dépravation ».

Cela a agacé l’Empereur, ses premiers réflexes ont été négatifs mais il n’était pas question pour lui de chasser une partie de la nation. Il est très vite revenu là-dessus parce qu’il était un jacobin, un fils des Lumières. De là est venu l’idée de réforme. Il a compris, contrairement à la révolution, que la religion était une courroie de transmission. Il a d’ailleurs donné le concordat au catholique pour arrêter la guerre, il voulait arrêter ce fléau. Napoléon s’est dit que la réforme devait venir des juifs eux-mêmes et qu’il fallait leur demander de le faire. C’est ainsi qu’il a d’abord convoqué l’assemblée des notables juifs, choisis par les préfets et les a réunis le 26 juillet 1806 dans la chapelle de l’Eglise St Jean, date qui tombait d’ailleurs le jour du chabbat, ce qui n’était pas très délicat. Et on leur a posé 12 questions qui sont dans le livre pour fixer les règles du judaïsme français. Ils ont accepté, fous de joie. Puis il a créé le grand sanhédrin qui comportait une plus grande représentation de pratiquants et de rabbins, tous les juifs d’Europe étaient conviés à l’événement pour qu’il y ait une approbation générale. Il a créé aussi le consistoire qui organisait la vie juive mais qui possédait aussi dans un premier temps une police chargée de faire régner l’ordre et de surveiller la moralité des administrés. Le consistoire central devait pousser les juifs à changer, il fallait organiser les écoles où les enfants apprendraient le français, l’histoire, la géographie etc. une sorte d’école pour les pauvres. Il a mis en place bien sûr le décret infâme et puis il a imposé aux juifs de changer de nom de famille et d’en faire une déclaration de l’officier d’Etat civil…

Si on doit résumer cela, Napoléon a d’abord été un tyran qui a coûté très cher à la France, mais il était adoré, et notamment par les juifs. Je me rappelle que chez mes grandes tantes, il y avait toujours un portrait de Napoléon. Certains juifs ont même oublié son caractère dictatorial, parce qu’il leur a permis de devenir des Français comme les autres.

Pensez-vous qu’il faille s’inspirer des méthodes de Napoléon pour intégrer de nouvelles populations aujourd’hui en France?

Je ne pense pas que les mesures de Napoléon soient appropriées pour les problèmes modernes d’intégration. Deux siècles ont passé, les problèmes ne sont pas les mêmes et on est face à une immigration beaucoup plus massive, il ne faut pas oublier que les juifs ne représentaient à l’époque que 40. 000 âmes. Les principes nés de la révolution sont restés comme des marqueurs de l’identité de la France, comme la liberté ou l’égalité, mais nous avons oublié de préciser que les droits ne sont valables que parce qu’il y a des devoirs.

On peut en revanche s’inspirer de sa fermeté et de sa façon de faire aimer l’idéal français. Pour faire aimer un idéal, il faut l’aimer soi-même. Chacun doit comprendre qu’on doit quelque chose au pays qui nous donne tant, alors soyons justes. Conservons nos valeurs mais acceptons de nous plier à la loi commune.

Votre livre s’arrête à l’Affaire Dreyfus. Pourquoi ?

Parce que l’affaire Dreyfus a été un coup de tonnerre dans un ciel calme. Parce que si au départ l’affaire Dreyfus est une simple affaire d’erreur judiciaire, comme il y en a malheureusement souvent, elle a quand même été alimentée par la haine de certains journalistes et notamment je dois le dire à l’époque par des journaux catholiques et de droite. Donc il faut se souvenir. D’ailleurs, qui de nos jours se déchirerait pour un homme ? Même s’il est innocent ou que son malheur est grand. La société a pleuré Charlie pendant trois jours, on pleure nos 213 morts pendant quelques mois mais on ne prend pas conscience du danger, or à l’époque les Français ont pris conscience du danger. Ils ont compris qu’à travers l’affaire Dreyfus, on atteignait notre mode de vie, on attaquait notre République, tout ce qu’on aime. Pour paraphraser Ben Gurion, il n’y aurait pas eu d’affaire Dreyfus ailleurs, parce qu’il n’y aurait pas eu d’officier supérieur juif. Cette affaire a montré l’intégration du judaïsme qui n’était pas possible ailleurs dans le monde. C’est pour ça que la France s’est mobilisée.