La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
Littérature

Onfray, l’islam et les lumières

On peut avoir de la considération pour Michel Onfray. On peut apprécier ses ouvrages (même s’il en fait un peu trop), son talent (même s’il a tendance à se disperser), ses prises de position (même quand elles peuvent choquer).

Son dernier livre, « penser l’islam » ne manque pas de pertinence sur le fond. C’est un ouvrage sérieux d’un homme sincère, qui a lu ce dont il parle, et qui affirme essayer juste de comprendre, en inscrivant sa réflexion dans l’esprit des Lumières.

Son livre édifie et déconcerte à la fois. Et voici pourquoi.

On approuve naturellement le philosophe quand il fait le départ, dans les textes de l’islam – les sourates du Coran, les Hadiths – entre la partie pacifique et la partie belliqueuse. On le suit volontiers quand il dit qu’il faut multiplier les lieux dans lesquels on pourrait lire ces textes en les commentant, en en débattant, en opposant des lectures. On suit tout autant quand il dénonce la langue de bois, le politiquement correct, et une certaine gauche devenue par un phénomène de renversement étrange, antisémite, misogyne, anti-laïque…

On le suit moins quand il propose de salarier les imams et de financer les lieux de prière (ce serait, pour le coup, une vraie rupture avec la loi de I905). On ne le suit pas quand il s’en prend à Manuel Valls – lorsque le Premier ministre dit : « Comprendre, c’est excuser ! » – sans s’aviser que la culture de l’excuse, qu’il dénonce lui-même par ailleurs, a fait beaucoup de dégâts et continue d’en faire. A-t-on oublié l’époque guère lointaine – elle a encore de beaux restes !- où on voulait se mettre « dans la tête des djihadistes », et où on nous prescrivait (Tzvetan Todorov) de « comprendre les agents agressifs de leur propre point de vue » ? Et on ne le suit mais alors plus du tout quand il nous explique que le califat islamiste ne menaçait pas vraiment la France avant que « nous ne prenions l’initiative de les attaquer », que les islamistes ne faisaient que « riposter tout bonnement » (« c’est de bonne guerre », ajoute-t-il, en concédant que c’est une mauvaise formule, ce que nous confirmons).
Riposter ? En quoi était-ce riposter ? En quoi les dessinateurs de Charlie, les spectateurs du Bataclan ou les clients aux terrasses de cafés pouvaient-ils être tenus pour responsables de la politique de Busch, Obama et Hollande ? Et en quoi cibler des juifs (ce qui était explicitement l’objectif de Coulibaly : « J’ai été à l’Hyper Cacher parce que je voulais trouver des juifs ! ») était un objectif de guerre et entendait répondre aux bombardements au Mali, en Irak, en Libye et en Syrie ?

Ce qu’il écrit encore sur la manifestation du 11 janvier – « une de plus ! » – est tout aussi choquant. Dire qu’elle a donné dans le compassionnel, n’en retenir que la présence des « VIP de la politique planétaire », le pigeon qui a lâché sa fiente sur l’épaule de François Hollande, ou la « morve » du Dr Pelloux, ce n’est ni malin, ni digne ni convaincant. Dire que la carte de la paix aurait valu d’être jouée et demander une trêve avec l’Etat islamique n’a pas de sens, surtout quand on se revendique d’une pensée libre. Il décrète d’ailleurs que « l’Etat islamique n’est pas nazi, comme on peut le lire et l’entendre de temps à autre ». Est-il permis de ne pas être d’accord ? Il y a, à l’évidence, des éléments de totalitarisme nazi dans ce mouvement qui est, c’est vrai et d’abord, un mouvement de totalitarisme religieux ! (Demandez donc à des témoins de la tuerie du Bataclan, ils ont eu le sentiment s’assister à une scène de massacre de type nazi !)

Si on a bien compris, tout est parti d’un tweet funeste où Michel Onfray affirme : « Droite et gauche ont internationalement semé la guerre contre l’islam politique ». Il confesse lui-même avoir appris la nouvelle de la fusillade du Bataclan alors qu’il se trouvait à Cayenne, dans une mairie bondée, sous la fournaise. C’est là qu’il réagit en parlant de guerre et de riposte. La conclusion qui s’impose est claire, et dommage qu’après coup, il ne s’en aperçoive pas. Le philosophe aurait dû se rendre compte que dans le monde compliqué où nous sommes désormais embarqués, on n’entre pas avec un tweet de 140 signes.