La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
Cinéma

Dans les Airs avec le Royal Orchestra

« Royal Orchestra » le nouveau documentaire de Heddy Honigmann, propose de suivre le Royal Concertgebouw Orchestra (RCO) d’Amsterdam, considéré comme l’un des trois meilleurs orchestres symphoniques, lors d’une tournée d’un an à travers le monde célébrant ainsi son 125ème anniversaire.

La cinéaste pose son regard sur les musiciens virtuoses dans l’intimité de leur quotidien  voyageant à Buenos Aires, Pretoria, Soweto et Saint-Pétersbourg : des trajets aériens aux chambres d’hôtels, des répétitions jusqu’aux concerts donnés, du repos au grandiose. Dans un prologue qui n’est pas sans rappeler l’ouverture de « l’Homme qui en savait trop » d’Alfred Hitchcock, le film débute avec l’évocation du moment crucial où un des percussionnistes du RCO doit se lever pour l’ultime coup de cymbales sur la 10e symphonie d’Anton Bruckner.

honigmann

À l’origine conçu pour répondre à un projet de commande, le film s’attache plus à évoquer la relation toute particulière entre l’orchestre et ses spectateurs, évitant ainsi l’écueil d’un simple diaporama. En captant « moments volés » et confidences des musiciens et de leur public, Honigmann interroge les relations que chacun entretient avec la musique. Pour les artistes du RCO, éloignés de leurs familles lors de ces allers et retours entre ciel et terre, l’Histoire vient parfois aussi s’inviter dans le temps de leur voyage. En Argentine, la troupe, accompagnée de l’équipe de tournage, visite le Parc de la Mémoire de Mar del Plata. Les musiciens scrutent alors les noms des victimes du régime militaire de Videla inscrites par milliers sur un immense mur face à l’océan. On peut entendre les notes de « l’Oiseau de Feu » de Stravinsky jouées par le RCO résonner à la fin de cette séquence sobre et émouvante, accompagnant l’arrivée du crépuscule sur la ville.

Le montage alterne, avec sensibilité,  moments de musique joués et rencontres: un chauffeur de taxi à Buenos Aires, Michael Masote le fondateur du Soweto Youth Orchestra ou Sergej Bogdanov mélomane vivant à St-Pétersburg. Chacun de ces êtres se confie et raconte comment la musique classique est devenue pour eux, un refuge, une raison de vivre et une forme de survie. Michael Masote explique qu’enfant il a eu envie d’apprendre le violon après avoir vu Yehudi Menhuhin jouer en concert devant un public noir alors que son contrat le lui interdisait. Se faisant refuser de toutes les écoles de musique, le jeune Masote rencontra alors un professeur juif qui l’accepta dans ses cours en le faisant rentrer par la porte principale et non pas par celle de derrière.

Masote

Dans une autre scène, l’un des contrebassistes du RCO commente l’ouverture de la 10e symphonie de Chostakovitch et explique comment le morceau qui s’anime d’une nervosité ambiante transfigure les sombres heures des grandes purges soviétiques. « L’Art gagne toujours face aux régimes totalitaires qui s’estiment au-dessus de lui », nous dit-il, et la musique de Chostakovitch en est l’expression même. Cette évocation entre en écho avec les souvenirs et l’histoire personnelle de Sergej Bogdanov et introduit l’une des scènes les plus bouleversantes du film. Ce survivant d’Hitler et de Staline vient écouter, un soir, le RCO jouer la 2e symphonie de Mahler à St-Pétersbourg. Il nous raconte ce lien qu’il cultive avec ce compositeur découvert grâce à sa mère et qui évoque chez lui : « toujours cette sorte d’énigme étrange et mystérieuse… ».

Le mot « Survivre » est peut-être celui qui semble le mieux correspondre aux films de Heddy Honigmann, et il vient ici se marier avec la musique tel un remède possible aux maux du monde.

« La musique, l’art le plus abstrait, nous donne de la beauté (…), elle remplit notre mémoire. Comme aller au cinéma, moi je vais à la musique. C’est peut-être, avec l’énorme besoin d’amour, les deux plus grandes nourritures dont l’homme dispose » H. Honigmann

 « Royal Orchestra » un film de Heddy Honigmann. Sortie le 23 mars.