A l’occasion de la sortie du hors-série de Marianne consacré à Simone Veil (Simone Veil, Un destin français), qui retrace le parcours exceptionnel de la première femme ministre de plein exercice de la Vème République, l’Arche magazine s’est entretenu avec Guy Konopnicki, le journaliste qui a coordonné ce numéro spécial.
L’Arche magazine – Qu’est-ce qui vous a incité à consacrer ce hors-série à Simone Veil ?
Guy Konopnicki – Simone Veil a un parcours à la fois politique et personnel exceptionnel. Politique, parce qu’elle est la première femme de la Vème République à endosser la fonction de ministre. Le gaullisme commence d’ailleurs, il faut le dire, de façon un peu machiste. Sous Charles de Gaulle et ensuite Georges Pompidou, les femmes se contentaient de secrétariats d’Etat et généralement du secrétariat d’Etat à la famille, aux affaires sociales etc. Simone Veil est la première ministre de la santé. Cette fonction la mène à défendre une loi majeure et historique sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui porte désormais son nom : la loi Veil.
Un parcours personnel exceptionnel aussi, de par sa trajectoire de vie : son arrestation par la gestapo dans sa jeunesse, son séjour à Auschwitz Birkenau et sa survie à la marche de la mort. Elle resta cependant toujours discrète sur sa propre souffrance.
L’Arche magazine – Peut-on considérer que Simone Veil a été féministe de droite ?
Guy Konopnicki – Cela agace toujours certaines féministes de le dire mais c’est un fait, Simone Veil est une femme de droite. C’est la famille politique qu’elle a rejoint, elle se définissait comme telle. Simone Veil croyait à deux idées politiques majeures de la droite : un Etat fort et autoritaire et un système économique libéral. Elle a été pro-européenne engagée jusqu’à devenir première présidente du parlement européen. Au fond, c’est une humaniste, et l’humanisme n’est pas l’apanage de la gauche. Lorsqu’elle défend la loi sur l’avortement, ce n’est aucunement par adhésion aux idées de libération sexuelle des années 70, mais pour mettre fin à une tragédie qui correspond à une centaine de milliers d’avortements clandestins par an. Cela avec des conséquences dramatiques qui s’ensuivent, et de toutes les séquelles possibles de ce genre d’opérations clandestines pratiquées dans des conditions souvent dangereuses, dont de nombreux décès de femmes. Simone Veil défend cette loi de façon pragmatique et humaniste. Il y a quelque chose dans la lutte pour l’égalité de droits des hommes et des femmes qui transcende les clivages politiques.
Quand on prend par exemple la question du droit de vote, la gauche se présente pour le droit de vote des femmes assez tôt, c’est même une position pris par le radical avant 1914, sauf que le parti radical arrive régulièrement au pouvoir mais ne met pas en place le droit de vote des femmes parce qu’il est convaincu que les femmes voteront sur les consignes de l’église.
L’homme politique qui se prononce le plus pour l’émancipation des femmes est Léon Blum, mais lorsque le Front Populaire arrive au pouvoir, il ne légifère pas sur le vote des femmes. Certains disent qu’il est resté trop peu au pouvoir, qu’il y avait d’autres urgences comme la montée du péril nazi. Puis, le parti radical traîne des pieds. Cette loi se fait dans l’unité entre la droite et la gauche, lors d’un vote à l’Assemblée provisoire d’Alger avec le général de Gaulle, qui comprend la droite et la gauche.
L’Arche magazine – En quelques sortes, Madame Veil a réussi à coaliser la gauche et la droite, pour faire voter la loi sur l’IVG…
Guy Konopnicki – Il est évident qu’elle n’aurait pas eu la majorité sans la gauche, alors que l’Assemblé nationale, à ce moment-là, est à droite. Giscard et Chirac la soutienne beaucoup mais des ministres et des parlementaires conservateurs vont être absolument terribles avec elle. L’opposition qu’elle rencontre parce que c’est une femme, parce qu’elle est juive, est inouïe. Ça a été terrible. Elle a droit à des insultes antisémites dans la salle des quatre colonnes de l’Assemblée nationale. Madame Veil a assuré qu’elle divulguerait un jour le nom des responsables, mais elle ne l’a jamais fait… Les plus progressistes de la droite ont voté avec elle pour cette loi, dont certains parce que fermement rappelés à l’ordre par Jacques Chirac. La gauche de son côté, a voté de façon quasi-unanime pour. A l’époque où elle présente la loi sur l’IVG à l’Assemblée nationale, il y a seulement neuf femmes dans l’hémicycle ! Ca donne la mesure du chemin parcouru jusqu’aujourd’hui. Aujourd’hui où il n’y a toujours pas la parité dans la candidature des partis politiques…
L’Arche magazine – Quel est l’héritage de Simone Veil ?
Guy Konopnicki – Il y a la réalité d’une loi sur laquelle on ne reviendra pas, la loi Veil. Nous sommes parmi les premiers pays en Europe à avoir légiférer sur l’avortement. Nous avons fait tache d’huile de sorte à ce que les pays très catholiques ont du accepter de légaliser l’IVG eux aussi. C’est très important. Simone Veil a aussi joué un rôle majeur pour que les femmes politiques se rapprochent de l’égalité vis-à-vis des hommes : sans avoir été une féministe insistante, elle a fait exemple. Après Simone Veil, il n’était plus possible de considérer les femmes politiques comme des potiches. Elle s’est imposée en ministre, puis en présidente du parlement européen.
Elle reste aussi comme une grande figure de l’intégration des juifs de France à la République. Après George Mandel, Léon Blum, Pierre Mendes France, il y a eu Simone Veil. Elle est la première femme dans cette lignée-là, celle des figures politiques juives qui ont marqué l’histoire de la République.
Enfin et cela est très important dans son l’héritage : Simone Veil est la première présidente de la fondation pour la mémoire de la Shoah, qui a témoigné, parlé, organisé le soutien au travail historique de mémoire dans sa fonction. Cette institution est pérennisée. Ce qui est intéressant en terme d’union nationale, c’est que c’est le gouvernement de Lionel Jospin qui décide d’accorder cette présidence à Simone Veil et de transférer les fonds des comptes en déshérence découverts par le travail de Serge Klarsfeld a destination de la fondation de la mémoire pour la Shoah. C’est un moment important de consensus, destiné à faire vivre la mémoire et écrire l’histoire.