Le Festival du cinéma israélien de Paris se déroulera du 29 mars au 5 avril. A l’affiche, un choix surprenant de fictions, documentaires et films d’animations. Le réalisateur et metteur en scène Steve Suissa nous parle de la riche programmation, témoin de l’évolution du cinéma israélien et de son rôle de pont entre les cultures.
L’Arche : A une certaine époque, on allait voir des films israéliens par curiosité. Depuis 15 ans on va surtout les voir car il s’agit souvent de bons films. Que pensez-vous de cette évolution ?
Steve Suissa : Il y a une évolution parce qu’il y a une énergie du « tout de suite et maintenant ». Lorsqu’on va à Tel Aviv, on se rend compte que le théâtre Habima reçoit 1,8 millions de spectateurs par an. Ce qui est colossal. Je pense que le Théâtre du Chatelet accueille moins de personnes. Il se crée en Israël des courts-métrages d’animation, des premiers films, des documentaires complètement hétéroclites de la troupe de la Bat Sheva à Lévinas. On arrive aujourd’hui à avoir des séries réalisées avec un budget de 50 000 Euros intitulées « Hatufim » et qui deviennent « Homeland ». On arrive à avoir un film comme « Grains de sable » fait avec 200 000 Euros et qui a le prix de la mise en scène de Sundance, remis par Robert Redford. C’est l’énergie qui paye. Et c’est très important pour les jeunesses du monde entier que rien n’est impossible. Et de se dire que par la culture et le rêve on peut non pas réussir dans la vie mais réussir sa vie.
D’où vient cette soudaine éclosion et cette grande diversité ?
C’est un peu comme le cinéma italien, mexicain ou argentin il y a quelques années. Aujourd’hui, le cinéma israélien, comme les applications et les start-up, se trouve dans un état d’urgence. Soit ça crée, soit ça n’existe plus. Comme chez un sportif, il y a la volonté d’aller chercher au fond de soi le dépassement. Aujourd’hui, on est dans une société qui ne va pas très bien. Quand on voit le dépassement, quand on sent la création, quand on sent la créativité, tout à coup ça interpelle. La raison pour laquelle je trouvais intéressant de participer à un festival du film israélien, était non pas pour les gens de la communauté. Il faut présenter à tous les publics l’aspect très hétéroclite de ce cinéma. J’ai vu les long-métrages, courts-métrages et documentaires qui y seront diffusés, c’est formidable. Il n’y a rien qui se ressemble. Il n’y a aucune mécanique. Il y a des façons de raconter des histoires avec un point de vue très personnel. Plus on a un point de vue personnel, plus on est universel.
Pouvez-vous nous parler de quelques-uns de ces films qui vous marquent ?
Que ce soit dans les documentaires sur Lévinas de Yoram Ron et celui sur Nissim Aloni de Doron Djerassi, ou dans les courts-métrages d’animation, on voit les différents approches percutantes. On met de la légereté dans le traitement et de la profondeur dans le récit. Ou alors on met de la profondeur dans le traitement et de la légèreté dans le récit. Filmiquement parlant, il n’y a aucune convention. C’est d’une modernité et d’une instinctivité déroutante. En ça, je trouve que c’est important de s’intéresser au cinéma du monde entier et de s’ouvrir.
Vous parlez du documentaire sur Lévinas. On y voit Luc Dardenne parler avec émotion de l’influence de Lévinas. C’est fort de voir ces rencontres inattendues.
C’est très important que la culture dépasse tout. Parce que la culture, c’est l’avenir de nos enfants, l’avenir des peuples. Le moment où tout à coup des gens de peuples différents se mettent côte à côte, attendent l’obscurité de la salle, attendent le film, le concert ou le spectacle et vont se mettre à avoir des émotions ensemble. Rire et pleurer ensemble. Et ça c’est le seul endroit au monde où cela peut exister.
On assiste aujourd’hui à de nombreuses rencontres entre Iraniens et Israéliens dont nous parlons dans l’Arche du mois d’avril. Nous avions parlé il y a deux ans de ces messages d’amitié envoyés entre les citoyens de ces deux pays au-delà des tensions entre leurs dirigeants, comme de cette soirée en boite à Berlin organisée par une DJ iranienne et un DJ israélien. Mais ça on n’en parle pas assez.
On n’en parle pas assez ici parce qu’on fait un amalgame idiot et un boycott encore plus idiot. Au lieu de poursuivre ces démarches d’ouverture et de parler de ceux qui y travaillent. Alors que « La Visite de la fanfare » est un film unissant des acteurs israéliens et égyptiens, que dans « Tu marcheras sur l’eau » on voit des mélanges incroyables. Grain de sable a été réalisé avec des acteurs israéliens et palestiniens et le résultat est formidablement beau et émouvant. On doit se servir de ça pour mélanger les gens et les rassembler et non pas pour se positionner. C’est pourquoi Francis Huster et moi sommes à l’initiative d’un Festival francophone de théâtre en Israël.
Quand se déroulera ce festival ?
Du 15 au 20 juin. On y jouera « Amok » de Stefan Zweig. Ce mot veut dire « folie » en allemand et « profond » en hébreu. C’est pour vous dire à quel point c’est intéressant de voir ce qui s’est passé dans la tête de Stefan Zweig. Il s’est suicidé non pas par amour mais par culpabilité d’avoir oublié ses origines. D’avoir oublié d’où il venait et où il allait. C’est donc très important d’arriver avec une histoire d’amour totalement universelle.
Ce sera la première fois que cette pièce sera jouée en Israël ?
Oui. C’est également la première fois que Francis Huster jouera en Israël. Et la première fois qu’un festival francophone de théâtre y est présenté. Il faut lier des ponts. La culture est le meilleur pont et le pont le plus nécessaire, le plus louable pour le monde d’aujourd’hui et encore plus pour le monde de demain.