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Israël

Maryam Faghih Imani, fille d’Ayatollah et messagère de la paix

Jeter des ponts entre jeunes Iraniens et Israéliens, en faire des interlocuteurs et des partenaires.

 

 » Les livres ont toujours été mes meilleurs amis. Dans mon adolescence, j’aimais me rendre à la bibliothèque publique que mon père avait fait construire dans ma ville natale d’Ispahan. On y trouvait des livres islamiques dans la ligne du régime iranien actuel. Mais ce n’était pas là les livres que je cherchais. Ceux qui m’attiraient avaient paru avant la Révolution islamique et avaient, ensuite, disparu du catalogue. Après les avoir trouvés, je me suis plongée dans la lecture de ces ouvrages de littérature perse et occidentale, d’histoire et de politique. Chaque livre était une fenêtre qui ouvrait sur un nouveau monde. »

La lecture de ces livres a été à l’origine de l’itinéraire qui a mené Maryam Faghih Imani (38 ans), fille d’Ayatollah, d’Ispahan à Oslo. Elle y a fondé, en 2013, le Centre pour la diplomatie culturelle et le développement (CCDD, site internet : http ://ccdd.info/) dont elle est la présidente. Lorsque l’instauration d’accords de paix entre les gouvernements de deux pays est impossible, la diplomatie culturelle a pour vocation d’établir des liens entre leurs citoyens et de favoriser le développement d’initiatives communes aussi bien dans le domaine économique que culturel et artistique.

Dans les discours qu’elle a donnés récemment au Freedom Forum à Oslo et aux Conférences de la paix à La Haye, elle a exprimé la conviction qu’il est possible de jeter des ponts entre les jeunes iraniens et les jeunes israéliens, et de faire ainsi des ennemis d’aujourd’hui des interlocuteurs et des partenaires.

 

L’Arche : Comment a commencé le chemin de la liberté qui vous a menée d’Ispahan à Oslo ?

Maryam Faghih Imani : J’ai grandi dans une famille qui appartient à la classe dirigeante du pays. Mon père, l’Ayatollah Faghihimani, a été un ami proche de l’Ayatollah Khomeini qu’il a rencontré dans les années 1960, alors que ce dernier vivait en exil en Irak. Mon père a diffusé clandestinement les écrits de Khomeini en Iran et a soutenu financièrement celui qui allait devenir, en 1979, le Guide de la Révolution islamique.

J’ai reçu une éducation très conservatrice, fondée sur une pratique stricte de l’islam et le rejet des valeurs occidentales. Dans mon école, les élèves se rassemblaient chaque matin pour crier « Mort aux États-Unis, mort à Israël ». J’ai d’ailleurs obtenu la meilleure note à un devoir où on nous demandait de réfléchir à la manière la plus efficace de rayer de la carte ce « cancer » qu’est Israël.

Pourtant, à l’âge de seize ans, j’ai vécu l’expérience qui a changé le cours de mon existence. J’ai découvert ces livres qui m’ont ouvert des fenêtres sur le monde. J’ai été sensibilisée, grâce à eux, à la question de la libération des femmes. Dans la théocratie islamique iranienne, leur destin était tout tracé. Elles devaient être de bonnes épouses, obéissantes, pieuses et passives. Mes lectures clandestines m’ont permis de connaître ces figures féminines qui ont lutté pour leurs droits. Je rêvais de suivre leur exemple en me libérant des interdits qui limitaient l’accès des femmes de mon pays aux études supérieures.

Mais la réalité était bien différente. Dans le milieu où je vivais, il était impensable que les femmes fassent des études à l’Université sans y être autorisées par leur père ou par leur mari. Mon père n’a cédé à mon désir de m’inscrire à l’Université qu’à une condition : je devais m’engager par écrit à abandonner mes études si mon futur époux s’y opposait. J’étais placée devant un dilemme : si j’acceptais cette condition, je perdais tout respect de moi-même ; si je refusais d’y satisfaire, je renonçais à mes projets d’avenir.

J’ai réussi à introduire dans ce « contrat » une clause qui me donnait le droit de donner aussi mon avis sur le choix de mon futur mari. Après l’avoir signé, j’ai pu m’inscrire à l’Université où j’ai découvert un milieu plus ouvert, la possibilité d’engager des discussions et de participer à toutes sortes d’activités culturelles et sociales. Mais la situation à la maison devenait intolérable. Mes sœurs plus âgées que moi étaient déjà mariées, mon tour arrivait et l’étau se resserrait de plus en plus autour de moi. Il me fallait donc prendre la décision de quitter l’Iran. Le prix à payer pour obtenir ma liberté était bien lourd. Malgré nos conflits, j’ai été et je me sens encore proche de ma famille avec laquelle je n’ai jamais rompu. Avec le recul, je réalise que je suis bien la fille de mon père et que j’ai hérité son amour de la lecture et la capacité de s’engager pour défendre ses idéaux. Ma mère aussi m’a beaucoup aidée sans que je le sache en me rappelant sans cesse de prendre patience et de garder espoir.

Pourtant, je n’avais plus le choix. En 2003, j’ai quitté l’Iran pour continuer mes études en Malaisie, à l’université de Kuala Lumpur. Pour s’assurer que je reviendrai en Iran, mon père m’a donné un chèque qui suffisait tout juste à payer mon billet de retour. J’avais vécu, jusque-là, une existence privilégiée et je n’avais jamais fait de courses dans un supermarché ! Soudain, il me fallait me débrouiller seule. Pourtant je me suis tirée d’affaire, j’ai trouvé du travail et j’ai obtenu une bourse de deux ans qui m’a permis de poursuivre mes études en Europe. Je me suis spécialisée dans les questions d’écologie et de durabilité en Norvège, en Finlande et au Portugal et j’ai acquis une formation dans le domaine de la diplomatie culturelle en Allemagne.

 

Vous avez évoqué la haine d’Israël qu’on vous a inculquée dès votre enfance. Comment vous êtes-vous débarrassée de vos préjugés ?

Pour se débarrasser de ses préjugés, il faut d’abord prendre conscience qu’on en a ! C’est ce qui m’est arrivé lors d’un voyage au Sud Liban. Jusqu’alors je croyais, comme on me l’avait enseigné, qu’Israël était l’agresseur et qu’il était la cause de tous les maux qui secouaient la région. En me rendant sur le terrain, j’ai pris conscience de la responsabilité du Hezbollah et de mon propre pays. Par la suite, j’ai découvert l’existence de la Shoah dont on ne m’avait jamais parlé à l’école.

 

Vous êtes présidente du CCDD, dont l’un des buts principaux est d’établir des relations entre des jeunes Israéliens et Iraniens et de favoriser leur coopération dans tous les domaines. Comment parvenez-vous à tisser des liens entre ceux qui sont censés être les pires ennemis ?

Bien que j’aie quitté le Moyen-Orient, le Moyen-Orient ne m’a jamais quittée ! Je suis préoccupée par les conflits qui le déchirent plus que jamais aujourd’hui. L’islamisme radical menace de faire disparaître la diversité qui fait la richesse de cette région du monde où ont toujours coexisté des peuples, des cultures et des religions différents. En l’absence de solution politique, il faut chercher à préserver cette diversité en faisant se rencontrer des Israéliens et des Iraniens afin qu’ils travaillent ensemble et qu’ils deviennent des partenaires.

La jeunesse iranienne ne passe pas son temps à crier « À bas Israël ». En dépit de la pensée unique imposée par le régime, les jeunes réussissent à contourner les limitations auxquelles est soumis leur accès aux sites internet. Ils participent à des forums de discussion dans tous les domaines, aussi bien historique et politique que philosophique et culturel. Il est essentiel que les Israéliens découvrent cette créativité et ce dynamisme. De leur côté, les jeunes Iraniens peuvent beaucoup apprendre d’Israël et de ses valeurs démocratiques.

 

Vous avez rencontré Shimon Pérès en Israël. Deux choses vous unissent : l’amour des livres et l’aspiration à l’avènement d’un « Nouveau Moyen-Orient » où fleuriront les échanges économiques et culturels entre Israël et les pays arabes, mais aussi entre Israël et l’Iran.

J’ai lu beaucoup d’ouvrages d’histoire et de politique sur Israël, il était temps que je m’y rende pour voir tout cela de mes propres yeux. Je suis aussi allée à Ramallah. Shimon Pérès m’a accueillie au Centre qui porte son nom et dont la vocation est la même que celle du Centre pour la diplomatie culturelle et le développement : œuvrer pour la paix et la réconciliation par et pour les habitants du Moyen-Orient.

www.ccdd.info