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Cinéma

Le Marais et les acteurs de son quotidien filmés pour un documentaire

Lorsqu’on se promène dans Paris, les habitués de certains quartiers tentent de se souvenir quel magasin se trouvait là dans leur enfance, quel café ou librairie a cédé sa place… La rue des Rosiers n’est pas celle qui a le moins changé. Sophie Bramly réalise actuellement un documentaire sur cette évolution et recueille les témoignages des acteurs de son présent et tente de dessiner son futur. Rencontre.

 

L’Arche : D’où vient l’idée de ce projet ?

Sophie Bramly : J’ai emménagé à l’angle des rues Pavée et Rosiers il y a 10 ans et au fil du temps je voulais filmer les orthodoxes parce que j’aimais le paradoxe que je voyais le matin : les hommes à vélo, qui rasaient les murs de façon humble et un peu plus tard les femmes, au volant de puissants 4X4, bloquant les rues pour laisser s’échapper des ribambelles d’enfants pour aller à l’école. Je n’ai jamais rien fait de cette envie jusqu’au massacre de Charlie Hebdo. A ce moment-là, j’ai eu une urgence de faire quelque chose, de ne pas laisser filer la chaleur de ce quartier, d’archiver tout ce qui me touche et m’émeut. J’ai pensé au début me concentrer sur trois axes : l’entraide, le rapport hommes-femmes et l’exil. Mais plus j’ai filmé plus j’ai compris que ce qui me fascinait réellement : c’était à la fois cette capacité à accueillir avec bienveillance tout le monde (gays, touristes, fashionistas …), mais aussi cette façon de se réinventer tout le temps, à transformer le chaos en source d’opportunités bienvenues. C’est une force inouïe.

Quelles images d’enfance de ce quartier sont encore présentes en vous ?

Je ne suis jamais venue dans ce quartier enfant, mes parents voulaient s’intégrer à la vie française. C’est ma grand-mère qui m’a transmis le goût de la vie orientale. Le dialogue passait par un débordement culinaire fastueux, les preuves d’amour se faisaient à la capacité d’aimer un plat, ses odeurs, ses épices, la façon de l’attendre et de s’en souvenir. J’ai d’abord retrouvé tout cela quand j’habitais à New-York, au début des années 80 : je voyais les femmes éplucher leurs légumes dans les rues de Little Italy, assisses sur des chaises, palabrant avec leurs voisines. Et je les ai retrouvées rue Pavée et rue des Rosiers avec une certaine émotion. Comme la plupart de ceux que les parents ont tenus éloignés de leurs origines pour mieux s’intégrer à la vie française, j’ai eu envie de voir ces racines repousser. Et idéalement mélangées à d’autres.
Les différentes populations du quartier cohabitent-elles bien ?

C’est en tout cas le sentiment que j’ai depuis dix ans que je suis là. Il y a à la fois une vie de village, où tous les juifs se connaissent et veillent globalement les uns sur les autres, et une mixité totale avec tous ceux qui habitent le Marais maintenant (bobos, gays, …). Les vendredis et dimanches me touchent particulièrement : le vendredi on voit les hommes mettre les téfilins au milieu des touristes, sans la moindre gêne de part et d’autre. Et le dimanche, ce sont les juifs qui habitent ailleurs dans Paris qui viennent faire des courses alimentaires et qui cherchent aussi sans doute à replonger dans des bains de souvenirs au milieu de la cohorte des badauds.
Parlez-nous d’un personnage que vous avez rencontré

Je n’ai rencontré que des personnages fabuleux. Entre Lévy, hélas décédé il y a quelques mois, qui vivait de petits jobs qui lui servaient à assouvir sa passion de baskets neuves, Jérôme, qui a abandonné son métier d’avocat pour ouvrir un restaurant de falafels en ne jurant que par la psychanalyse, David, magnifique Hipster qui donne un nouveau souffle au quartier en ouvrant un restaurant aussi cacher que foisonnant d’une jeunesse qui réinvestit le quartier, ou encore Henri, qui comme un multi-instrumentiste, gère sa boucherie, plusieurs restaurants( qui ont remis la nourriture ashkénaze au goût du jour) et qui veille à la sécurité d’un quartier qu’il n’a jamais quitté depuis sa tendre enfance, ou son voisin du dessus, Elie, qui voue un tel culte au quartier qu’il collectionne livres et photos du quartier comme un archiviste de premier plan, il y a encore Chantal, qui a quitté la police pour vendre des objets religieux et encore plein d’autres dont les vies racontent elles aussi avec quelle force les Juifs réinventent sans cesse leurs vies. En réalité, presque tous ceux que j’ai rencontré méritent un film et j’espère même, si j’arrive à lever assez d’argent pour ce projet, à faire des petits films sur chacun de ceux que j’ai rencontré, en plus du documentaire de 52′, pour leur rendre hommage à tous individuellement, et montrer avec quel génie ils réinventent sans cesse leurs vies.

Ce documentaire en cours de réalisation cherche actuellement des financements. Une campagne de crowdfunding se poursuit sur ce lien. http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/l-extravagante-rue-des-rosiers