La métaphore est jolie : Nuit debout. Intitulé poétique, sans qu’on sache très bien si ce sont les manifestants qui se tiennent éveillés et refusent de s’endormir. Ou si c’est la nuit qui se refuse à la position horizontale.
Sur les lieux, où nous étions dimanche soir, on croise le meilleur et le pire.
Le meilleur ? L’espèce d’Agora tous les soirs sur la place de la République. Les réminiscences de mai 68 mâtiné d’un zeste de Woodstock. Les slogans inscrits par terre. Comme celui-ci : « Maintenant que nous sommes ensemble, tout va mieux » signé d’un obscur WM. Ou « Il devient fou celui qui ne fait rien de sa peine », signé du même. L’un en appelle à une expérience démocratique nouvelle, au pays de la révolution française. Un autre brandit le slogan « Inventons nous-mêmes la prochaine constitution ». Les jeunes sont assis par terre et écoutent les intervenants en agitant les mains pour applaudir. Une jeune fille revient sur l’expulsion sous les insultes et dans la violence d’Alain Finkielkraut la veille, regrette ce dérapage grave qui dénature la portée du mouvement et propose une commission pour en débattre. La commission sera acceptée par l’assemblée, ce qui n’empêchera pas un jeune homme de prendre la parole pour dénoncer une « provocation » du philosophe qui serait venu sur les lieux accompagné d’un journaliste d’extrême droite (« Je suis venu avec mon épouse, avec personne d’autre », nous dit Alain Finkielkraut).
Pour ce que nous avons vu et entendu, il y a un côté décapant dans certaines de ces interventions. Et après tout, tout se passe comme si l’émotion des attentats des 7 et 8 janvier 2015 avait trouvé un exutoire dans l’immense défilé du 11 janvier alors que les massacres du 13 novembre étaient restés orphelins. L’état d’urgence décrété sur le champ empêchait tous ces jeunes qui avaient vu les leurs cruellement fauchés dans la fleur de l’âge, de s’exprimer, de se retrouver autrement que sur les réseaux sociaux. La solidarité sur facebook ne suffisant pas, ces jeunes avaient besoin de se voir, de se toucher, d’échanger, de parler. Ce fut « Nuit debout », mais qui charrie aussi le pire.
Le pire ? Les discours dans tous les sens, mais surtout dans un certain sens. La régularisation des sans papiers. La dénonciation de la loi El Khomri. Les attaques contre le patronat et les banques. Mais il y aplus grave, c’est le sectarisme et l’intolérance. On ne débat pas avec la droite (c’est dit explicitement dit dès l’entrée. On fait bon accueil à Varoufakis et on lui donne même la parole. On chasse Finkielkraut et on lui crache au visage.
Et puis, comme tout le monde, on a fait le tour des stands environnants. BDS est en bonne place. Pas directement, sous pavillon de complaisance. Un stand intitulé « Désobéir » qui est censé prôner la désobéissance civile et qui, de fait, abrite l’association pour le boycott d’Israël qui dispose d’une vitrine importante et vend des ouvrages, des tee shirts, des stickers, des pin’s à l’effigie de la Palestine. C’est le seul stand international de « Nuit debout » . Le subterfuge ne trompe personne, d’autant moins que la « cantine » des lieux – houmous, boulettes, couscous – est à l’intérieur du stand, et se trouvait tenue, quand nous y étions, par une dame voilée. « Restez debout la nuit grâce aux sandwiches du BDS ». Le slogan ne figure pas, mais à l’évidence, cela n’a encore choqué personne parmi les intervenants place de la République.