Dans son premier ouvrage, Adieu mademoiselle, la jeune journaliste Eugénie Bastié a relevé un défi de taille : répondre aux néo-féministes surreprésentées selon elle dans notre société. Trente ans après Simone de Beauvoir, le combat à mener trouverait ses racines, bien moins dans le patriarcat, que dans le capitalisme. Entretien.
Rachel Binhas : Au début de votre essai, vous expliquez que les féministes actuelles se trompent en pensant que la femme serait encore dans les fers : « (…) les néoféministes refusent de voir que le monde qu’elles appellent de leurs vœux est d’ores et déjà avenu. » Pourtant, tout au long de votre réflexion vous mettez en lumière les obstacles auxquels sont confrontées les femmes aujourd’hui. Le combat est-il terminé ou reste-il des luttes ?
Eugénie Bastié : Je reproche aux néo-féministes de se battre contre des fantômes qu’elles ont déjà vaincus. Le combat contre l’inégalité se mue en égalitarisme et en abolition de la différence. La défense des femmes en haine de l’homme. En refusant de prendre en compte les spécificités féminines, ces militantes ne peuvent pas saisir les problèmes concrets qui se posent à la femme. Le féminisme est devenu une idéologie détachée de « la vie ordinaire des femmes » pour reprendre les mots de Christopher Lasch, auteur de l’ouvrage Les Femmes et la vie ordinaire. Selon moi il n’y a pas de peuple unique féminin, abstrait, qui aurait les mêmes intérêts partout mais il y a des problèmes féminins dus à la condition spécifique des femmes, la maternité. Ce sont ces questions féminines que j’aborde dans mon livre à travers par exemple l’avortement, la technique qui s’empare des corps des femmes, le marché du travail inadapté à la condition féminine, ou l’islamisme qui voudrait dissimuler leurs corps…
Photo de Hannah Assouline / CerfRachel Binhas : Vous soutenez l’idée que, par le passé, les femmes avaient une place bien moins inégale dans la société que l’on voudrait bien le croire. Elles lisaient bien plus que les hommes, c’était, d’après vous, des femmes de lettre. Ne mélangez-vous pas ici genre et classe sociale ? Quid des femmes issues de milieux populaires dans les années 50-60 par exemple ?
Eugénie Bastié : Je ne crois pas à la théorie centrale développée par Simone de Beauvoir selon laquelle il y aurait un patriarcat universel plurimillénaire, une forme de complot, visant à soumettre les femmes à partir de leur biologie en tout temps et en tout lieu et pour toujours. Je crois qu’il y a eu des régressions historiques et circonstanciées. Le Code Napoléon a été sans conteste un recul pour les femmes. Et il est bien évident qu’une Jeanne d’Arc aurait été impossible au XIXème siècle bourgeois et puritain.
En revanche, Régine Pernoud, historienne du Moyen-âge, auteur de La Femme au temps des cathédrales, montre bien qu’à cette époque la femme était au centre de la société, le foyer dont elles étaient les maitresses incontestées étant le centre de la vie sociale. L’inégalité qui pouvait exister entre différentes classes sociales ne connaissait pas le genre. La paysanne du Moyen Age n’était pas plus opprimée que son mari ! C’est après que s’est installé un véritable deux poids-deux mesures, quand la modernité a offert la représentation politique aux hommes en excluant les femmes, jugées trop conservatrices pour mériter le droit de vote !
La caricature de la femme au foyer telle que l’ont dénoncé les féministes, est un produit de la modernité industrielle, comme l’explique très bien Christopher Lasch. C’est lorsqu’on a déplacé le centre de gravité de la société du foyer vers le salaire, de la famille vers le travail, que les femmes ont été reléguées au second plan.
Rachel Binhas : Les femmes seraient donc davantage soumises au capitalisme qu’au patriarcat…
Eugénie Bastié : Tout à fait. Prenons un exemple précis. Pour prouver que les inégalités entre les hommes et les femmes sont encore bien vivaces, les féministes sortent énormément de statistiques relatives aux inégalités salariales, expliquant que les femmes ne gagnent pas autant que les hommes. Lorsqu’on se penche sur les chiffres, on se rend compte qu’il n’y a rien de raciste dans cette différence, pas de discrimination. Il s’agit de performance : à cause de la maternité, elle est moins productive que l’homme. Les femmes s’arrêtent pour élever leurs enfants, elles choisissent bien plus les temps partiels que les hommes… Il y a une proximité entre les enfants et la mère qu’il n’y a pas avec le père.
Les féministes se trompent en proposant aux femmes, comme seule planche de salut, le fait de gagner et de travailler autant que les hommes. Si on suit cette pente-là, on va droit vers l’utérus artificiel, qui serait en effet le seul moyen de rendre hommes et femmes égaux face à leurs carrières. Le féminisme gagnerait à proposer une autre vision de l’économie moins axée sur le compte en banque et la performance, et davantage centrée sur la maternité, le soin, les services. On s’est beaucoup moqué de Martine Aubry à propos de la société du « care » mais l’idée était légitime et aurait mérité d’être creusée. Le libéralisme triomphant qui a érigé la performance en valeur suprême a affaiblit la condition des femmes. Le féminisme lui a emboîté le pas.
Rachel Binhas : Le mot « féminisme » vous déplait ?
Eugénie Bastié : L’objectif me semble-t-il devrait être le développement d’une bonne protection de la femme et non un nouveau féminisme. Le mot « féminisme » contient en lui-même son propre dévoiement. C’est une idéologie, c’est un « -isme » qui veut réduire le mystère des relations hommes-femmes à une sociologie, à un rapport de dominés/dominants. Pourquoi chercher à objectiver en permanence ce qui est inobjectivable ?
Rachel Binhas : Votre jugement, argumenté, est sévère à l’égard des associations féministes. Malgré tout, certaines trouvent-elles grâce à vos yeux ?
Eugénie Bastié : Des personnalités lesbiennes comme Marie-Jo Bonnet ont dressé un constat que je partage concernant le capitalisme. Ces femmes ne s’opposent pas à une féminité revendiquée ou à la différentiation des sexes et c’est très bien ! Je dénonce dans mon livre ces groupuscules institutionnels qui ne représentent pas les femmes – Osez le féminisme compte 2.000 membres – et qui, pourtant, ont pignon sur rue dans les ministères et imposent des lois régulièrement. On pourrait appeler ça le « najatisme ». On l’a vu avec la suppression du « mademoiselle », la modification de la loi avortement, la judiciarisation de la société imposée par le haut par des groupes minoritaires… Néanmoins, je sais que le féminisme dans son ensemble est bien plus divers. Sylviane Agazinski est sans doute la féministe historique la plus proche de mes convictions car elle a compris les problèmes modernes qui se posent à la femme. Pour répondre à votre question, je n’ai pas trouvé de mouvement qui me plait, il reste à créer !