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Musique

PJ Harvey, le chant à l’épreuve du monde

Pour son neuvième album intitulé «The Hope Six Demolition Project», la chanteuse Polly Jean Harvey reprend les réflexions politiques et engagées de son précédent opus «Let England Shake» (2011), œuvre sombre marquée par le thème des guerres qui ont frappé son pays natal: l’Angleterre. Aujourd’hui, elle s’attache à nous faire ressentir l’état actuel d’un monde en totale mutation. Le titre de l’album fait référence à un programme public controversé de destruction de HLM lancé dans les années 90 aux Etats-Unis. Les onze titres sans baisse de régime qui composent ce nouvel album sont une traversée des quartiers marqués par la violence et la pauvreté de Washington jusqu’aux paysages sinistrés d’Afghanistan ou du Kosovo. Des lieux que la chanteuse a explorés ces quatre dernières années, accompagnée du photographe, lauréat du prix World Press, Seamus Murphy qui signe le visuel de l’album et la réalisation des clips qui l’entourent.

«The Hope Six Demolition Project», est un carnet de voyage au cœur de la désolation écrit avec des mots de colère et de larmes, mais portée par une musique plus lumineuse et rock que jamais. Malgré des sujets lourds, PJ Harvey évite de sur jouer ou de tomber dans le pathos. Elle préfère les transcender par un album aussi riche que rythmé. Ce qui frappe à la première écoute: c’est la justesse de l’ensemble. Que ce soit au niveau de la production ou de la durée des morceaux, tout semble être le fruit d’une longue et lente élaboration dégagée de tout superflu donnant naissance à un album de l’épure. Elle s’est entourée pour cela de ses musiciens et producteurs fétiches ; amis de longues dates et fidèles compagnons de route que sont John Parish, Flood et Mick Harvey (Nick Cave & Bad Seeds).

Le titre d’ouverture «The Community of Hope», décrit en deux minutes, des quartiers de Washington minés par la drogue, peuplés d’âmes errantes qui seront chassés afin de permettre la construction de restaurants « trendy ». Le refrain de cette chanson repris en chœur par une chorale gospel locale s’envole dans un final grandiose. On trouve aussi dans cet album de subtiles apparitions comme celle de Linton Kwesi Johnson dans «The Ministry of Defence», ou bien par ces sons enregistrés provenant des paysages explorés. «River Anacostia» évoque ainsi les images d’une rivière aux eaux polluées bordant la capitale américaine où viennent résonner les incantations d’une fantomatique tribu indienne.

PJ Harvey nous plonge dans une vision du monde sous haute tension. Avec un réalisme découlant d’une volonté de se sentir au plus proche de son sujet. «Quand j’écris une chanson je visualise toute la scène. Je peux voir les couleurs, je peux deviner l’heure de la journée, l’humeur, je peux voir la lumière évoluer, les ombres se déplacer, tout ce qui compose le tableau. Réunir des informations de seconde main me paraissait trop éloigné de ce que j’essayais d’écrire. J’avais besoin de sentir l’air, la terre et de rencontrer la population des pays qui me fascinaient.» explique-t-elle. Dans un désir paradoxal de présence et d’isolement, la chanteuse s’est « enfermée » dans un studio de verre pendant la production du disque. Lors de sessions d’enregistrement ouvertes au public, elle pouvait observer et être vue. L’élaboration de sa musique devenant une exposition en soi, une mise à nue.

«The Hope Six Demolition Project» évite les écueils et le ton sentencieux de l’album de rock engagé, là ou d’autres artistes s’y abandonnent. Sans se perdre, l’anglaise garde une sensibilité désarmée face aux endroits déshumanisés qu’elle parcourt. Toujours révoltée, elle trace une ligne dans le sable et lance un cri d’alarme sur ce que nous laissons et sur ceux que nous abandonnons. Un cri qui s’accompagne parfois de minces mais essentielles lueurs d’espoirs dans un monde en proie au chaos. PJ Harvey demeure l’une des voix les plus passionnantes pour les allumer et nous éclairer.

A écouter : « The Hope Six Demolition Project » (Island Records/Universal Music)

PJ Harvey sera en concert le 5 juin au festival « We love Green » à Paris-Bois de Vincennes