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France

Le Beit Haverim a adressé une lettre aux candidats à l’élection du Consistoire

Dans cette lettre, le mouvement juif français LGBT exprime ses inquiétudes sur la perception de l’homosexualité dans la communauté juive. Il y exprime un sentiment de solitude et de discrimination : « Nous représentons l’un des derniers tabous de la communauté, étant entendu que ça n’existe pas chez nous, et que c’est formellement condamné par la Torah. » Revenant sur une volonté de reconnaissance, le Beit Haverim demande aux candidats leur position sur cinq éléments : la lutte contre l’homophobie, la question de la sécurité et de l’intégrité, la levée du tabou, la prévention de toute discrimination par des interventions dans le cadre scolaire ou rabbinique et la prise de parole publique du Consistoire afin de venir à bout des idées préconçues. Rencontre avec Alain, président du Beit Haverim.

L’Arche : Depuis quand militez-vous au Beit Haverim ?

Alain : Il y a six, sept ans. J’éprouvais une certaine solitude. Grâce au Beit, j’ai pu constater que je n’étais pas seul au monde, qu’il y avait d’autres juifs gays.

Cette solitude, est-elle toujours une grande souffrance pour les gays, qu’ils soient juifs ou pas ?

La situation s’améliore, mais ça dépend du niveau familial et religieux dans lequel on évolue. Dans les milieux traditionnalistes, les jeunes se rendent compte qu’ils sont moins isolés. Mais dans les milieux très religieux, il y a une peur de l’exclusion et les gens concernés n’en parlent pas du tout.

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Vous avez adressé une lettre aux candidats pour l’élection du Consistoire. Avez-vous obtenu une réponse ?

J’ai envoyé la lettre aux deux candidats et aussi au Grand rabbin de France. Je n’ai eu aucune réponse à ce jour, malheureusement. Même pas une réponse bateau, accusant de la réception du courrier.

Qu’attendez-vous du Consistoire ? Comment peut-il améliorer la situation des juifs gays ?

Notre démarche a toujours été d’établir un dialogue cordial, afin de pouvoir être entendus par le Consistoire. On leur demandait un acte minimum, qui était de condamner l’homophobie de manière ferme. Et pas mollement en disant « bien entendu, les homosexuels sont accueillis, mais par contre on condamne l’homosexualité ». Mais dans les faits, comme je le rappelle dans la lettre, il y a beaucoup d’homophobie. L’année dernière, lorsqu’une jeune femme a été tuée à la Gay Pride, je m’étais énervé avec pas mal de gens sur la page du Grand rabbin de France qui écrivaient : « Ils n’avaient qu’à pas faire la Pride à Jérusalem… C’est impur. »

Cette situation semble pourtant évoluer dans le bon sens chez certains dirigeants.

On retrouve des deux. Ceux qui condamnent l’homophobie et ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Il y a deux ans, le Rabbin Gilles Bernheim est venu participer à une conférence au Beit Haverim. Je salue son courage. Peu l’auraient fait. Je précise toutefois qu’il n’était plus Grand rabbin à l’époque. On l’a beaucoup questionné sur le sujet. Je lui ai dit qu’on a l’impression que la seule manière de pouvoir pratiquer sa religion quand on est gay, c’est d’aller  rejoindre le courant libéral, où l’on est accueilli dans une indifférence totale, qu’on soit gay ou hétéro. Le rabbin m’a répondu : « Votre sexualité, vous la laissez au porte-manteau. Lorsque vous entrez dans la synagogue, vous n’avez pas besoin de l’exprimer. » Ce qui est complètement faux, puisque la sexualité est aussi sociale. Lorsqu’on va dans une synagogue, et que l’on souhaite s’y rendre avec son conjoint ou sa famille, notre sexualité apparaît de manière sociale. On s’expose aussi à des foudres de la communauté.

Pensez-vous qu’en France on pourrait s’inspirer du modèle américain sur l’acceptation des homosexuels ?

J’ai la chance de voyager beaucoup. Je me suis rendu à une célébration de Simha Torah à New York dans une synagogue gay. Je me trouve actuellement à Tel Aviv où j’ai également pu prier dans une synagogue tranquillement. Des gens sont surpris, mais de nombreux juifs gays aspirent à vivre un certain degré de religiosité. Ce n’est pas parce qu’on est gay qu’on ne peut pas être religieux. En France, les mouvements libéraux sont de plus en plus favorables et on les remercie. En décembre dernier a été célébré un mariage entre deux femmes lesbiennes dans une synagogue libérale. C’est une grande première. Nous entretenons également un dialogue très avancé sur l’homosexualité avec le mouvement massorti. Et ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est une rencontre avec les représentants du Consistoire. Cela fait un an que j’ai demandé au Grand rabbin Korsia de nous recevoir, au moment de cet attentat à la Gay Pride de Jérusalem et où se succédaient les propos homophobes. Mais je n’ai jamais reçu de réponse. Je comprends qu’il ait un calendrier très chargé, mais le sujet en vaut la peine. En tant que peuple ayant subi des discriminations à travers l’histoire, nous devons montrer que nous avons retenu la leçon et qu’il ne faudrait pas dupliquer ce dont on a été victime.

Comment réagissez-vous aux propos du rabbin Sitruk sur Radio J

Je constate, dans les réseaux sociaux, que la communauté est divisée sur le sujet. J’en suis à la fois désolé et ravi car le sujet de l’homophobie dans la communauté est un tabou. Concernant le rabbin Sitruk, je comprends qu’il est dans sa posture religieuse. Il ne peut accepter la Gay pride ni l’homosexualité. Soit ! Mais ses propos sont effarants, car il gomme tout l’aspect humain. Est-ce qu’il a conscience des tourments de jeunes religieux qui découvrent leur orientation ? Ils sont fragiles et des paroles de rejet peuvent les conduire au suicide. Sans compter l’affaire Shira Banki à la Pride de Jérusalem. Donc, si nous étudions les moyens de poursuivre Radio J et le rabbin Sitruk, ce n’est pas pour le rappel de l’interdit mais pour les propos violents tenus à l’antenne, qui peuvent engendrer de graves dérives. Qu’est-ce que l’érudition sans le cœur ?