Le réalisateur Steve Rivo présente à Paris un documentaire sur l’œuvre d’un pionnier de la photographie, Solomon Carvalho, lequel fut le premier à immortaliser les grands espaces américains au milieu du XIXe siècle. Rencontre.
L’Arche : Qu’est-ce qui a particulièrement surpris dans le travail de Solomon Carvalho ?
Steve Rivo : Ce qui est particulièrement intéressant dans le travail de Solomon Carvalho, c’est la maitrise très avancée de cet artisanat, ses photos étant considérées comme étant de très grande qualité. En 1853, lorsque John C. Fremont demanda à Carvalho de l’accompagner dans sa cinquième expédition vers l’Ouest, aucun daguerréotypeur n’avait jamais tenté de réaliser d’enquête photographique du continent américain. En réalité, très peu de daguerréotypeur avait réussi à prendre, avec succès, de daguerréotype extérieur. La plupart se prenaient en studio. , où la lumière et les conditions de prise de vue étaient sous contrôle et où le procédé laborieux de développement était installé. Afin de pouvoir prendre ses photos en extérieur, Carvalho avait besoin de mettre en place une nouvelle manière de travailler. En chaque lieu de prise de photo, il était obligé déballer de nombreuses malles contenant du matériel de photographie et de développement, créer un feu afin de réchauffer les planches et remballer le tout une fois la photo prise et développée. Ce fut une réalisation sans précédent.
Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?
J’ai été contacté par l’auteure Arlene Hirschfelder, qui avait écrit un livre pour enfants intitulé Photo Odyssey, qui traitait du voyage de Carvalho dans l’Ouest. Arlene pensait que le livre pouvait être adapté en documentaire. Après avoir lu le livre, j’ai pensé que cela ferait un excellent documentaire et j’ai commencé à travailler sur le sujet.
Le fait que la famille de Carvalho estimait autant la culture que la religion, estimez-vous que cela l’encouragea à poursuivre sa vocation en ces temps difficiles ?
Bien entendu. Solomon Carvalho a été éduqué avec des valeurs familiales fortes, ainsi qu’un attachement solide au judaïsme. Dans tous les lieux où Solomon et sa femme Sarah Solis Carvalho habitèrent, ils demeuraient des membres actifs de la communauté sépharade. Que ce soit à Charleston, Philadelphie, Baltimore et New York. Ils participèrent à l’établissement de synagogues, d’écoles juives et d’associations de bénévoles. Je pense que sa foi, et surtout son dévouement à la communauté, lui permirent de joindre les deux bouts lorsqu’il fut difficile de gagner sa vie en tant qu’artiste.
Etait-il un pionnier dans sa volonté de capturer les grands espaces américains et ses héros méconnus ?
Tout à fait. Je pense que Solomon Carvalho fut à la fois un pionnier de la photographie et de l’histoire américaine. Sa contribution a été extraordinaire. Et mon seul regret est que nous n’ayons pas retrouvé toutes ses photos. Néanmoins, grâce à l’existence de gravures réalisées sur des daguerréotypes de Carvalho, et le travail d’artistes contemporains, tel le daguerréotypeur Robert Shlaer qui participe au film, on peut obtenir une très bonne appréciation de la contribution de Carvalho. Et aussi de l’incroyable difficulté de la tâche accomplie. Carvalho est, selon moi, un héros méconnu, et de nombreux spectateurs m’ont dit qu’après avoir vu le film, ils furent reconnaissants d’avoir mis en lumière son histoire quelque peu oubliée.
D’autres grands photographes de l’expérience américaine, comme Robert Frank, furent-ils inspirés par son travail ?
Dès la publication de son livre Incidents of Travel and Adventure in the Far West (1857), Carvalho bénéficia d’une certaine notoriété en Amérique. Mais lorsque tous ses daguerrotypes de l’Ouest, à l’exception d’un, furent perdus lorsqu’un entrepôt brûla en 1882, et vu que Fremont n’avait pas crédité Carvalho comme source des gravures de la 5e expédition, sa place dans l’histoire de la photographie fut perdue. Et l’homme et son œuvre demeurèrent pratiquement inconnus du grand public.