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Cinéma

Zweig ou l’exil impossible

En 1936, Stefan Zweig décide de quitter définitivement l’Europe. Le film de Maria Schrader « Stefan Zweig, Adieu l’Europe » raconte son exil, de Rio de Janeiro à Buenos Aires, de New York à Petrópolis.

Un titre à forte résonnance alors qu’une majorité d’électeurs britanniques vient de se prononcer en faveur d’un « Brexit », plongeant ainsi l’avenir du vieux continent dans une inconnue géopolitique. La réalisatrice allemande se penche sur les dernières années de la vie de l’écrivain autrichien qui figure comme l’un des auteurs les plus lus en France et dans le Monde. Elle s’est inspirée de ses mémoires regroupées dans « Le Monde d’hier, souvenir d’un européen », ouvrage publié à titre posthume en 1944, après le suicide de Zweig et son épouse Lotte en 1942. Le suicide de l’écrivain reste encore controversé en dépit de la poignante lettre d’adieu qu’il a laissé. Le film ne tente pas d’expliquer ce geste mais laisse, à chacun, le soin de l’interpréter.

Partant d’une recherche historique méticuleuse, Maria Schrader nous livre un récit allégorique sur l’exil. Elle s’attache à montrer comment Zweig vient à se retrouver hanté par la guerre qu’il fuit, même en étant à l’autre bout du monde. Le film porte sur six fragments dans la vie de l’écrivain, et joue d’une extraordinaire sensibilité quand il suggère ces infimes moments dans lesquels quelque chose de transcendant peut surgir.

Le travail de reconstitution rigoureux est accompagné de la parfaite photographie de Wolfgang Thaler. Son style, déjà récompensé pour de multiples documentaires, a marqué les films du réalisateur autrichien Ulrich Seidl comme la trilogie « Paradis ». Un sens de l’image qualifié par Maria Schrader de chamanique. Le plan d’ouverture sur un immense bouquet de fleurs offert au regard de Zweig lors d’un déjeuner officiel au Brésil, est très évocateur de la technique particulière de Seidl. Bien plus concentré sur ces fleurs exotiques que par les invités autour de lui, l’écrivain, incarné par le formidable acteur Josef Hader, se retrouve soudain, presque hypnotisé par cette image de pure beauté.

Ce sont ces espaces intérieurs, ou ces absences mystérieuses de Stefan Zweig que le film glane. Se laissant doucement happer par une nature inconnue et prodigieuse qui l’entoure et le subjugue, comme lors de la visite d’une plantation de canne à sucre, ou lorsqu’une fanfare locale lui joue l’air du Beau Danube Bleu de Strauss. Improbable version des valses viennoises jouée alors comme une rumba aussi bien dissonante qu’émouvante, mais si juste en émotion. L’Europe tourmentée que Zweig quitte s’invite autant dans l’appartement glacial New-Yorkais de son ex-femme Friederike, que dans cette jungle tropicale. Ses souvenirs apparaissent comme les spectres de son passé et de son présent. En regardant la vue depuis le balcon de sa maison à Petrópolis, les montagnes autrichiennes viennent ressurgir de ses paysages mentaux. Images inoubliables venant lui rappeler que de son petit chalet de Salzbourg, il pouvait aussi observer la maison d’Hitler. Comme un sentiment de nostalgie déformé à jamais par la barbarie en marche.

Stefan Zweig s’est toujours prononcé en faveur d’une Europe libre et humaniste et avait en horreur toute forme de nationalisme. En ce sens, il était l’un des précurseurs de l’Union Européenne qui se trouve mise à mal aujourd’hui par le retour du populisme de tous bords. Dans la partie qui se passe à Buenos-Aires, lors du congrès du PEN Club de 1936, on sent tout le tiraillement intellectuel et affectif dans lequel Zweig évolue lors de son exil. Le maître de la nuance se retrouve soudain dans un monde où toute subtilité disparaît. Lorsque, Friderike, fait le récit à son mari de sa fuite sur le quai de Marseille aux côtés de milliers de gens fuyant la guerre et la persécution vers le nouveau monde, on ne peut s’empêcher de penser à ceux qui risquent actuellement leur vie en traversant la méditerranée pour les mêmes raisons. Ces exodes, tout comme celle de Zweig, font partie de l’histoire de l’Humanité.

« Stefan Zweig, Adieu l’Europe » est à des lieux des biopics ampoulés qui abondent sur les écrans. C’est un film en prise directe avec l’époque qu’elle raconte, mais aussi avec notre époque quand certains politiques actuels galvaudent le mot Liberté pour mieux le manipuler. Maria Schrader, par ce film fort, rappelle qu’un immense talent comme Stefan Zweig se considérait avant tout comme un citoyen du monde. Il souhaitait que tous les hommes puissent le devenir, et ce afin que la liberté individuelle demeure le bien suprême de ce monde.

« L’idée européenne n’est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l’appartenance à un peuple, elle n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée. »

Stefan Zweig, Appels aux Européens

Stefan Zweig, Adieu l’Europe. Un film de Maria Schrader – Sortie le 10 août 2016