Ancien ambassadeur d’Israël en France et ancien Secrétaire général du Parti travailliste, Nissim Zvili revient sur le parcours de Shimon Pérès et son rôle dans le rapprochement entre la France et Israël.
L’Arche : Que vous inspirent les dernières activités politiques de Shimon Pérès ?
Nissim Zvili : La présidence de Shimon Pérès a rendu à cette fonction la place qu’elle devait avoir. Nous avions vécu période très difficile avec son prédécesseur, d’où le besoin d’un homme avec une telle stature afin de redorer le blason de cette institution. À part ça, je crois qu’il a ajouté à la présidence en Israël une dimension qui n’a jamais existé. Aujourd’hui, le président est identifié non seulement par son rôle mais par sa fonction de représentation vis-à-vis des autres nations. C’est un élément très important qui a manqué pendant des décennies. Grâce à sa stature internationale et à sa capacité de présenter une vision, Shimon Pérès a réussi à reconstruire une certaine confiance entre la communauté internationale et la société israélienne. Même lorsque s’exprimaient des divergences, par exemple entre le gouvernement israélien et d’autres gouvernements européens, américains et autres. Il a représenté quelque chose qui donne le sentiment de la volonté de l’État d’Israël de réunifier autour de son existence un consensus international. Une grande majorité des Israéliens le soutient dans cette démarche, à l’exception de certains groupuscules d’extrême droite qui contestent sa capacité, sa vision, prétendant qu’il ne représente pas la voix d’Israël. Personnellement, je pense qu’il représente le vrai Israël. Celui qui veut arriver à un accord de paix avec ses voisins, qui représente une approche plus égalitaire entre les classes sociales. Il dépasse l’appartenance à un courant politique, incarnant au mieux les valeurs du sionisme qui sont d’instaurer un État juif, basé sur des valeurs d’égalité sociale, de liberté, de démocratie et de droits égaux pour les minorités. L’État d’Israël a été créé sur ces bases-là.
Que retenez-vous de son parcours ?
Son rôle dans la création de l’État d’Israël est reconnu par tout le monde. Si on est capable d’assurer l’existence du pays, c’est grâce au travail accompli par Shimon Pérès au sein du gouvernement de David Ben Gourion. Une capacité dissuasive assurant notre existence sur ce petit territoire. Depuis qu’il est Président, il a compris que son rôle est d’unifier l’État d’Israël autour d’intérêts nationaux et sociétaux. Il n’a pas cherché à créer des divergences mais à rassembler les citoyens de ce pays autour de ponts entre les laïcs et les religieux, entre les juifs et les Arabes, entre la gauche et la droite, entre le gouvernement et la société… même si ce n’a pas toujours été le cas. Il a perçu ce rôle d’une tout autre manière que celui d’un homme politique du Parti travailliste.
Quel est pour vous sa plus grande réussite ? Et quel est son plus grand échec ?
En tant qu’homme de gauche en Israël, je pense que sa plus grande réussite est d’avoir compris après des décennies que la meilleure façon d’assurer la sécurité d’Israël était d’assurer la paix avec ses voisins. Il a réussi à créer une mouvance autour de cette conception. Jusque dans les années 90, il pensait que la dissuasion militaire était le meilleur garant. Après les accords d’Oslo, il est arrivé à la conclusion qu’en fin de compte, pour assurer l’existence de l’État d’Israël et sa sécurité, la seule solution est d’arriver à un accord de paix. Ce changement a été adopté par la grande majorité de la société israélienne, qui estime que la solution est l’existence de deux États, israélien et palestinien, est la meilleure solution. Son plus grand échec est de ne pas avoir réussi en tant que Premier ministre, après l’assassinat d’Itzhak Rabin, à poursuivre l’application des accords d’Oslo. Il n’a pas eu les forces nécessaires pour transformer sa perception de l’avenir en réalité. J’étais à l’époque Secrétaire général du Parti travailliste et nous avons perdu les élections de 1996 alors que les négociations entre Israéliens et Palestiniens étaient à un point critique. C’était notre grand échec à tous d’avoir perdu les élections à ce moment-là. Pas un échec personnel de Shimon Pérès, mais de tout le camp de la paix. Shimon Pérès a accompli des choses extraordinaires pendant toutes les périodes où il fut premier ministre. En 1984, dans un gouvernement d’union nationale avec la droite de Shamir, il a réussi à redresser l’économie israélienne frappée d’une inflation de 500 % par an, pacifiant aussi les relations entre syndicats et patronat. Il a également organisé à cette époque l’évacuation du Liban. Néanmoins, il a souvent essuyé des échecs électoraux.
A-t-il aujourd’hui des successeurs en Israël ?
Non, pas vraiment. Personne n’a cette vision, cette capacité à prévoir ce qui va se passer à l’avenir. J’ai le sentiment que Shimon Pérès est apparu une génération trop tôt. Le peuple n’a pas suivi ses idées. Il n’a pas compris ce qui est nécessaire pour assurer son avenir. En Israël, on observe une différence entre les leaders qui suivent l’opinion publique et ceux qui décident de ce qui est de l’intérêt du peuple. Ben Gourion avait dit : « Le peuple sait peut-être ce qu’il veut, mais moi je sais ce dont il a besoin. » C’est ce qu’a appliqué Shimon Pérès. Sans être populaire, il a eu la vision pour parler du besoin d’un nouveau Proche-Orient, de dire que la solution est la paix avec pays arabes, d’essayer de prévoir les besoins de la société israélienne, de la nécessité d’adapter le socialisme à ces nouveaux besoins. Il n’a pas toujours été accompagné. Malheureusement, il n’a pas toujours eu la capacité ou la force nécessaire pour appliquer cette vision.
A-t-il joué un rôle important dans le développement des relations entre la France et Israël ?
Shimon Pérès est un des seuls leaders israéliens à croire que les relations entre Israël et l’Europe (et en particulier la France) n’étaient pas moins importantes que celles avec les États-Unis. La majorité des autres leaders ont toujours préféré donner la priorité aux relations avec les Américains. Pérès a toujours pensé que nous avions besoin d’un équilibre. D’assurer les relations avec la France de la même manière qu’avec les États-Unis. C’est vrai que l’Europe n’a pas soutenu Israël avec autant de vigueur que les États-Unis, mais cela ne l’a pas empêché de se battre pour ce rapprochement. Sur ce plan-là, il n’a jamais réussi à convaincre le peuple israélien. Le soutien inconditionnel des Américains a d’ailleurs été une erreur. Nous aurions pu résoudre le conflit israélo-palestinien beaucoup plus tôt si nous étions persuadés qu’une solution devait être acceptée par toute la communauté israélienne.