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Cinéma

Claude-Jean Philippe, Joselito et le cinéma L’Arc

La mort de Claude-Jean Philippe, que je n’ai pas connu, fait remonter quelques souvenirs d’enfance dont on pardonnera le tour personnel.

Nous habitions en face d’un cinéma, le cinéma « L’Arc » dont l’enseigne demeure visible aujourd’hui, ou du moins quelques morceaux de lettres estompées. Notre balcon, au deuxième étage, donnait sur un cinéma. Et les soirs d’été, quand les spectateurs consentaient à ouvrir grandes les portes, nous pouvions voir les films du balcon ou de la fenêtre de la salle à manger, en pestant contre une poutre, au centre, qui nous empêchait de voir l’écran plein et nous donnait une vue sur deux moitiés d’écran.

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C’est ainsi que j’ai appris que Claude-Jean Philippe, qui a officié pendant de nombreuses années au Ciné-club sur France 2 avant de devenir producteur d’émissions sur France-Culture, avait probablement été notre voisin rue Officier de Paix Thomas à Casablanca, peut-être même avait-il habité notre propre appartement avant nous.

On lui a demandé un jour, à la radio, comment lui était venue la passion du cinéma. Et il a raconté mon histoire de « L’Arc », mot pour mot. Le balcon. La poutre. Les spectateurs consentants, et les films vus à moitié…

Je ne suis pas devenu cinéphile pour autant, même si j’adore le cinéma, mais il me reste dans la tête quelques titres. Les Dix commandements – Ah ! La tête de mon père, collée à la fenêtre, pour découvrir Moïse en Charlton Heston ! -, Les portes claquent, Les 400 coups, et bien entendu les films de Joselito.

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Petit bonhomme haut comme trois pommes. Des cheveux fins avec une mèche tombant sur le front. Des pommettes hautes. Et un sourire lumineux. Ses films sont pleins de bons sentiments. Ce sont des chants à la gloire de la nature. On y voit des processions, ça fleure bon l’Espagne catholique et vertueuse. Et puis, il y a la voix à la fois enfantine, cristalline, et en même temps sûre, couvrant une gamme impressionnante. Tantôt du pur flamenco. Tantôt des Sévillanes plus légères. Pourquoi aimais-je tant cette musique, et pourquoi continue-t-elle aujourd’hui à me faire vibrer ? Pourquoi ne suis-je jamais arrivé à écouter «El Emigrante » de Juanito Valderama sans avoir les larmes aux yeux ?

A l’Ecole Normale hébraïque ( j’apprends que notre cinéphile décédé, de son vrai nom Claude Nahon, a aussi fréquenté une école juive à Casablanca), je me souviens, dans le réfectoire face à la fameuse toile sur le loup et l’agneau, qu’on me demandait de chanter et que j’entonnais quelques airs de flamenco, en baragouinant des mots d’espagnol sans en comprendre le sens, ce qui avait le don de faire éclater de rire tous les élèves venus du nord espagnol du Maroc, comme moi, mais qui eux parlaient couramment la langue et s’amusaient de mes approximations.

J’ai pensé au Joselito de mon enfance, qu’on appelait « La voix d’or », avant qu’il ne mue. Tristesse un jour en découvrant, dans un journal espagnol, la photo – était-ce Joselito ou Juanito Valderama ?- dans ses vieux jours, silhouette chiffonnée, les joues affaissées, le ventre arrondi, et dont on disait qu’il avait fini comme une sorte de SDF…Et puis la joie, un autre jour, de recevoir des mains de ma fille, un DVD d’un de ses films qui ont bercé mes jeunes années casablancaises.

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J’ai revu ce film de Joselito où il fait ses débuts dans le music-hall, soutenu par tout son village. Il chante pour le village. Il chante pour sa famille. Et il chante pour une petite fille aveugle, pour elle seule, et sa voix magique va lui faire recouvrer la vue. Le récit est gnangnan, mais il n’a pas d’importance. On attend le moment où la voix s’élève et va monter de plus en plus haut, jusqu’à l’accord final. Je me revois à neuf ans, à dix ans, à onze ans. Je devais avoir son âge. J’avais les mêmes mèches. Je m’habillais comme lui, comme plus tard nous allions tous adopter la tenue des Beatles, le col roulé noir de Ringo, la veste en pied-de poule de John, avec des revers noirs au col comme Paul.

Avec mes soeurs, nous partageons les mêmes souvenirs. Sauf que Joselito n’était pas leur truc. Elles préféraient Sarita Montiel dans « La Violetera ». Les castagnettes. Les claquettes. Les danses sur les bottines. Les couples hiératiques avec des chapeaux noirs et des jupons qui virevoltent. Je suis retourné souvent en Espagne depuis. J’ai assisté à chaque fois à des Tablas flamencas. Je n’ai jamais retrouvé le charme de la musique de mon enfance.

Salut à toi, Claude-Jean Philippe, né à Tanger et qui avait peut-être les mêmes souvenirs des films de Joselito, vus en deux moitiés, du haut du balcon de la rue Officier de Paix Thomas, au cinéma L’Arc.