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Littérature

Ivan Levaï : l’optimisme au micro

Le petit orphelin de Budapest revient sur 50 ans de carrière comme journaliste politique. Une vie de rencontres et d’enthousiasme.

Pendant longtemps, Ivan levaï a voulu oublier. Oublier Lili, sa mère modiste à Budapest qui en 1939 a tout quitté pour venir en France et y mourra en mai 1941, presque seule, sans amis, sans famille. Son corps repose dans une fosse commune. Oublier l’absence de père, un Autrichien dont il ne sait absolument rien.

Oublier la Hongrie le seul des pays de l’est qu’il n’a pas visité, jusqu’à ce que sa femme Anne Sinclair l’y oblige un jour en douceur. Oublier enfin Hitler et ceux qui ne sont pas revenus.

Oui mais voilà, le Monde en novembre 1988 reprend pour le critiquer un article de National Hebdo, où l’éditorialiste d’extrême droite, François Brigneau, se moque d’Anne Sinclair, née Schwartz, à New York et de lui même, né en Hongrie en 1937 « Et tout cela fera d’excellents Français » se gausse l’horrible plumitif. L’heure du souvenir a sonné pour celui qui a régné sur toutes les ondes, d’Europe 1, que l’on appelait Europe numéro Un dans les années 70, à France Inter, aux journaux comme le Provençal, au Soir mais aussi Tribune Juive.

Tout commence donc avec Lili, femme libre qui arrive à fuir la Hongrie en février 1939, la maladie, qui l’emporte brutalement et une nourrice bretonne, femme de prisonnier, marié à un instituteur juif algérois qui recueille l ‘orphelin du Danube. Pas beaucoup de tendresse chez cette Folcoche sordide mais un toit, le refus de l’étoile jaune pour sa fille et Ivan et plus tard, des papiers de baptême. « J’étais protestant à Paris, catholique à la campagne, juif nul part » note celui qui de l’occupation se souvient de la faim, des curieux gâteaux vitaminés à l’école mais aussi d’un réfractaire au STO planqué à la maison ou des bijoux laissés par les familles juives chez sa tutrice. Petit parisien de Ménilmontant, Levaï vole du pain et se fait prendre, mais caché en Vendée, découvre sa vocation de journaliste radio, quand il remarque avec quelle ferveur les fidèles écoutent le sermon à l’église !

Dans les années 50, ce sera un jeune homme sérieux, vite marié, des débuts à radio Luxembourg, l’envie de voir le monde et de le décrypter avec un appétit qui ne s’est pas démenti. Au fil des pages défilent les amis « ceux qui selon Camus justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence » Il y a Simone Signoret, sa yiddishe Mama comme il l’appelle et Montand, les copains du PC auquel il ne reste que le temps de quelques tracts, des inconnus et des gens très célèbres, de Trenet à Barbara en passant par Badinter, Malraux ou Shimon Pérès, avec qui un dialogue se noue pendant de si longues et belles années. Levaï est un fidèle : fidélité à ses idées, à ses femmes, Anne Sinclair puis Catherine, fidèle aussi à Israël qu’il découvre en 1958. Sur le Théodore Herzl, le bateau livré par les Allemands au titre des « réparations » il rencontre Golda Meïr : ce sera sa première interview ! Les anecdotes se succèdent, sans se préoccuper toujours de l’ordre chronologique : on croise Coluche en costume de clown dans les bureaux de la radio, le grand Jankélévitch, qui martelé par le remords de ne pas avoir donné quelques pièces à un mendiant dans le métro, demande a son ami de refaire le chemin avec lui, dans l’espoir, déçu, de retrouver ce pauvre hère et de le secourir ou les deux Simone, Simone Veil et Simone Signoret qui contre toute attente, deviendront très amies !

Dans les années 70, Monsieur 100 000 volts fait découvrir la revue de presse aux Français, les réveille tous les matins, interroge sans cesse les grands de ce monde. Dans la France de Pompidou, de Giscard, de Mitterrand qu’il admire malgré Papon, Bousquet et les autres, son agenda donne le tournis, la liste de ses accomplissements aussi. Son renvoi de France Inter à 77 ans, prétextant un vulgaire « place aux jeunes » le blesse mais il préfère s’en moquer. Avec élégance et générosité, l ‘homme rend hommage aux grands qu’il a connu dans ce métier en pleine évolution, déplore la pensée rapide qui tient lieu de réflexion dans la presse aujourd’hui et trouve celle-ci frileuse sur de nombreux sujets, y compris Israël. L’auteur se souvient avec émotion du dernier week-end, quelques jours avant l’attentat, en compagnie des Wolinski ….. «Une minute pour conclure» dit le titre de ces mémoires qui n’en sont pas, tant elles sont tournées vers le bonheur du présent, dans la joie d’être français aujourd’hui, dans l’envie encore de partager, de vivre d’autres expériences. Comme les chats, le petit garçon de Budapest a 9 vies. Et à bientôt 80 ans, il ne fait que commencer la première !

Ivan Levaï, Une minute pour conclure. Editions du Cherche-Midi.