La même semaine où se déroulent les élections américaines, Arthur Nauzyciel présente de vendredi à dimanche, sur la Péniche La Pop, un des grands rendez-vous de l’année consacré à ce que la culture de ce pays nous offre de plus bouleversant en matière de poésie et de littérature : une adaptation du poème Kaddish d’Allen Ginsberg.
L’Arche : Vous préparez un spectacle sur Kaddish, un des plus célèbres poèmes d’Allen Ginsberg, écrit à la terrasse du Café Select à Paris. D’où vient cette idée ?
Arthur Nauzyciel : Ça remonte à loin. C’est un projet qui a beaucoup évolué. Au départ, c’était une demande du MAHJ, en 2013, qui préparait alors une soirée consacrée à Allen Ginsberg. Le projet a ensuite évolué, étant demandé pour le Festival d’Avignon 2013 qui marquait la dernière édition des précédents directeurs. Ils souhaitaient inviter des artistes qui participèrent régulièrement au festival. Ils m’ont confié une soirée, me proposant de reprendre Kaddish. À cette lecture s’est ajoutée l’envie de faire entendre d’autres extraits de textes de Ginsberg. En l’occurrence des extraits de son Journal, des rêves qu’il a fait sur plusieurs années où il retrouvait sa mère. Étienne Daho a eu la gentillesse d’accepter et de prendre en charge d’enregistrer ces extraits du Journal qui s’interpénètrent avec la lecture du Kaddish. Un film de Valérie Mréjen s’est alors ajouté. Une courte vidéo qui fait allusion à un texte où Allen Ginsberg parle de la nourriture de sa mère. Avec Valérie, qui travaille comme moi beaucoup sur l’intime, on a filmé ma propre mère qui prépare une recette typiquement juive polonaise : le pied-de-veau en gelée. Quand on a repris en 2015 cette lecture au Centre Dramatique National d’Orléans que je dirige, on a consacré deux semaines à Allen Ginsberg et à la Beat Generation. J’invitais chaque soir un artiste à partager quelque chose après la lecture. Pascal Gregory a lu la correspondance de Willam Burroughs et Allen Ginsberg. Lors d’une de ces soirées, Albin de la Simone a eu l’idée de proposer un concert à partir de chansons qu’il chante moins dans son récital, étant plus sombres et hallucinées. Un répertoire, sa face obscure, qui viendrait en écho de Kaddish.
Pourquoi la Beat Generation est-elle toujours aussi influente ?
Je crois que c’est un moment de grande révolution dans la poésie américaine. La dimension un peu provocatrice qui allait de paire avec ces écrivains a peut-être occulté la dimension profondément novatrice de leur écriture. Kerouac, Ginsberg et leur muse moins connue, Cassady, ont fait basculer la poésie, l’écriture aux États-Unis et même dans le monde occidental où leur influence est encore très marquée, très marquante. Ces jeunes gens étaient au croisement de différentes disciplines artistiques. À la fois inspirés par le jazz, les arts plastiques, la littérature. Forts de leur grande culture et de leur intérêt pour d’autres œuvres et d’autres disciplines, ils ont eu envie de refonder la poésie. Ils se sont employés à inventer une poésie de leur temps. D’une part, il y a cette innovation formelle qui était au service d’une poésie extrêmement moderne et percutante. Très riche et sophistiquée.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué dans le poème Kaddish ?
Kaddish en lui-même est un texte particulièrement fort. Cette idée de partir du kaddish trois ans après la mort de sa mère, lui adressant un message qu’il n’a pas pu adresser du temps de son vivant. Réparer quelque chose à travers la poésie. Rendre un hommage à cette femme, en faire un portrait très amoureux. Tout cela est très bouleversant. On entend derrière toute la souffrance et la douleur que cela a été pour cet adolescent de vivre à la fois dans la fascination et dans l’effroi face à cette femme folle et en même temps fascinante. Il l’a fait à nouveau exister avec toute sa complexité et toute sa force amoureuse. Un bouleversant travail de réparation à travers l’écriture.