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La vie est une géniale improvisation

Une magnifique histoire d’amitié qui débute en 1923 à Normale Sup avec 60 ans d’une correspondance qui traverse le XXe siècle en abordant tous les sujets, entre Vladimir Jankélévitch et Louis Beauduc. Jankélévitch, né de parents juifs russes, premier devant son ami Beauduc à l’agrégation de philosophie de Normale Sup, est mobilisé puis blessé pendant la guerre. Il est révoqué de l’université comme « non français à titre originaire » et entre dans la résistance à Toulouse. Entre 1951 et 1978, philosophe, musicien, musicologue et titulaire de la chaire de Philosophie morale à la Sorbonne, il a laissé de nombreux livres dont ”Henri Bergson”, préfacé par Bergson lui-même.

Les adaptateurs et metteurs en scène Bruno Abraham Kremer et Corinne Juresco : « “Janke” pour ses élèves, recherchait “l’accord parfait” entre ses idées et ses actes. Il nous aide à vivre. Il est urgent de continuer à l’écouter. » Au théâtre des Mathurins en 2013, la salle n’a pas désempli durant cinq mois, de même que durant la tournée en France en 2014. Entre-temps, ce couple d’artistes extraordinaires avait enchanté le public avec ”J’ai terriblement envie de vivre” où Bruno interprète Anton Tchekhov, et personne n’a pu oublier “La promesse de l’aube”, de Romain Gary, qui l’avait précédée.

Bruno Abraham Kremer a joué au cinéma, à la télévision, au théâtre, avec les meilleurs metteurs en scène. Il crée en 1989 « Le Théâtre de l’Invisible », avec lequel il a monté de nombreuses pièces dont l’émouvant ”Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran » écrit pour lui par Eric-Emmanuel Schmitt. On ne peut tout citer. « La reprise de ”La vie est une géniale improvisation” n’est pas un hasard, l’état du monde et de la pensée, plus qu’en 2013, nécessite de répondre à ma façon. Avec ce spectacle, je montre à nouveau, avec Jankélévitch, à quel point les actions d’un homme peuvent être en corrélation avec sa pensée. Cette correspondance est un appel à notre intelligence. »

Pour Jankélévitch, « seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes ». Les lettres des deux philosophes sont pleines de tendresse, leur amitié est profonde. Cet échange de pensée restera, ils ne l’ignorent pas, pour la postérité. L’humour de ce grand et modeste personnage est omniprésent et contagieux. « Hélas, donc en avant ». « Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance et qu’il n’y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé », les sujets les plus dramatiques passent par le filtre de la liberté d’esprit, de l’intelligence, de son regard perçant mais bienveillant. Ses écrits se lisent comme des romans, passionnants.

La scène, meublée d’un bureau, une table et deux chaises, est pourtant chaleureuse et accueillante. Accompagné de musique, de sons et de la voix du philosophe, Kremer partage avec le public un moment trop court d’émotion, de finesse, de don de soi, et fait le cadeau d’un regain de confiance en l’être humain, en l’amitié et la vie. Corinne Juresco, superbe comédienne et metteuse en scène, a collaboré au spectacle avec la même passion qu’elle met à enseigner, à jouer et à vivre. « Nous avons en commun avec Bruno notre amour de la vie transmis par nos familles ».

Dans la salle, les rires sont authentiques, comédien et spectateurs se ressentent et se comprennent. Jankélévitch : « On peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philo, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien ». Ceux qui n’ont pas vu le spectacle à sa création devront se rendre en courant à cette réunion de l’esprit et du rire indispensable.

Théâtre du Lucernaire, 53, rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris. Rés. : 01 45 44 57 34. Jusqu’au 11 décembre 2016.