Êtes-vous colombe ou faucon ?
Une nouvelle donne ? Israël sous les premières pluies automnales. Nous arrivons au moment où on marque les trente jours de la mort de Shimon Pérès. Une cérémonie a lieu au Mont Herzl, en présence du président Rivlin, du Premier ministre Netanyahou, et de la famille du défunt président. Sur la stèle, trois phrases ont été inscrites. L’une est du prophète Isaie : « Et ils feront de leurs épées des socs de charrue. » La seconde est de David Ben-Gourion : « L’image spirituelle d’Israël et sa force intérieure constitueront dans le futur le facteur essentiel de notre sécurité et de notre place internationale. » Et la troisième est tirée d’un poème de Nahman Bialik : « Il avait encore un chant en lui, et voici que ce chant s’est perdu. »
Le prophète, le politique, et le poète. On n’aurait pas pu trouver mieux pour illustrer le parcours de cet homme disparu au seuil des soixante-dix ans d’Israël. La stèle est entre celle de Rabin et celle de Shamir. Et sa petite fille s’amuse en songeant qu’avec son voisin de gauche, il pourrait alterner de temps à autre, comme à l’époque ou ils gouvernaient à tour de rôle. Géopolitique d’Israël au Proche-Orient ? La situation, a priori, n’a jamais été aussi bonne. Les accords de paix signés avec l’Égypte et la Jordanie sont solides. Le Hezbollah, au Liban, est tenu en respect depuis une dizaine d’années et se trouve impliqué dans la guerre civile en Syrie. Au Golan, comme dans le Sinaï, l’État islamique a son propre agenda qui ne se soucie pas pour l’instant de l’État hébreu. Le Hamas à Gaza n’a pas l’air de vouloir se lancer dans de nouvelles aventures. Des rumeurs évoquent un rapprochement circonstanciel avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Il faut ajouter à ce tableau l’action diplomatique intensive menée en direction de l’Afrique, avec quelques succès dont témoigne un sommet Israël-Afrique qui se tiendra à Lomé (voir notre enquête).
Restent les zones grises. Le conflit israélo-palestinien n’est pas réglé pour autant. Les Palestiniens continuent à œuvrer dans les instances internationales, hier à l’UNESCO – avec cette honteuse et scandaleuse résolution niant les liens historiques du peuple juif avec Jérusalem –, demain peut-être à l’ONU avec ce que craignent les observateurs israéliens, un possible désir de revanche d’Obama dans les 70 jours de l’interrègne qui séparent de la prise de fonction de la nouvelle présidence, en multipliant les résolutions condamnant Israël. Colombe ? Faucon ? Ils sont rares les pays dans lesquels une figure politique accompagne le peuple quasiment depuis la création de l’État. Et quand elles existent, ces figures, ce sont des monarques, des souverains, des empereurs. Pérès n’avait rien d’un César, ni d’un prince héritier. C’était un Sisyphe dont la pierre dégringolait régulièrement avant d’atteindre les sommets. Rien ne lui a été facile, et il lui aura fallu attendre les dernières années de sa vie pour connaître la consécration et la reconnaissance des siens. Il a été à la fois l’artisan de Dimona et l’architecte des accords d’Oslo. Il aura été tout au long de sa carrière politique, à la fois colombe et faucon, successivement et parfois simultanément. Probablement en cela, aura-t-il été proche de beaucoup d’Israéliens qui, quand on les interroge, disent en majorité qu’ils sont pour une solution à deux États, et en majorité qu’ils ne croient pas possible la réalisation de ce rêve. Pérès pensait qu’il fallait continuer de croire, en dépit de tout.
Son legs ? Ce qu’il laisse en héritage ? Contrairement aux autres dirigeants de sa génération – Dayan, Rabin, Sharon –, il n’est pas né dans le pays. Il parlait l’hébreu, comme le français, avec un bel accent yiddish. Même sa coiffure, avec les cheveux en arrière, tranchait avec celle de ses pairs. Il aimait Paris plus que n’importe quelle ville au monde. Il adorait recevoir des personnalités politiques françaises et être reçu par elles. Il aimait le bon vin, les terrasses de café, ses amis Yves Montand et Simone Signoret. Il adorait s’éclipser au cours de ses visites officielles pour aller faire un tour dans les librairies. Il aimait les livres et les poètes. Il avait un intérêt très fort pour les sciences, les nanotechnologies, les réseaux sociaux. Par-delà ses rêves, ses limites, ses échecs, il y avait une vraie fidélité en lui, celle de David Ben-Gourion. Quand, il y a deux ans, il était question d’un projet de loi sur la nationalité, Pérès dira en se référant à son mentor : « la voix de David Ben-Gourion nous commande d’être ce qu’Israël se destinait à être : un pays exemplaire, éclairé, en quête de justice et de paix. » Ben-Gourion dont on a souvent rappelé cet échange avec Pérès. C’était une des premières rencontres, et Pérès, frais émoulu, était monté en voiture avec le vieux lion qui, après un long silence, a pris la parole : « Trotski n’était pas un grand leader. Un grand leader doit savoir décider. Soit la guerre et il faut en prendre le risque. Soit la paix, et il faut en payer le prix. »
Il n’est pas sûr que Pérès ait tout à fait retenu la leçon. Il a été un faucon et une colombe en même temps. Pas moitié l’un et moitié l’autre. Mais tous les deux en même temps. Il se refusait à répondre à cette question : êtes-vous l’un ou l’autre ?
Ce qui reste du neuvième président de l’État d’Israël est peut-être ce qu’il a retenu lui-même de Ben-Gourion. Il l’a dit un jour. Avoir de l’audace et pas de regret. Ne jamais céder devant les difficultés. Ne pas avoir peur de rêver. Ne pas avoir peur du lendemain. Ne pas se leurrer soi-même. C’est un beau programme. L’a-t-il réalisé comme il le voulait ? Chacun en jugera.
Êtes-vous Trump ou Hillary ? Pour le coup, il n’était pas possible d’être les deux à la fois. Les Américains ont tranché et ils ont porté à la présidence le plus énigmatique, le plus inattendu et le plus inexpérimenté des candidats à la Maison blanche. Donald Trump, contre toute attente, est devenu le 45e président des États-Unis, l’emportant largement sur la candidate démocrate, Hillary Clinton.
Nous avons retardé la sortie de notre Hors-série pour pouvoir rendre compte de cette élection historique. On lira les articles de nos correspondantes Clémence Boulouque et Macha Fogel qui révèlent toutes les deux combien la campagne aura été marquée, pour la société américaine comme pour son image, par une tonalité qui n’a fait honneur ni à l’une ni à l’autre. La violence, les outrances, les insultes, la vulgarité de cette campagne seront longues à digérer. Et comme il s’agit d’une grande démocratie dont on suit les évolutions avec attention parce qu’elles précèdent souvent les nôtres (il suffit de voir les réactions de la classe politique française qui vont du signe d’espoir pour Marine Le Pen, à la mauvaise nouvelle pour Hollande et à la recherche active d’un effet Trump pour Sarkozy), il y a tout lieu de s’inquiéter pour la situation post-électorale. C’est bien une Amérique à deux temps, une Amérique divisée, une Amérique fracturée qui s’est manifestée dans ce scrutin. Le nouveau Président saura-t-il les réconcilier ? Arrivera-t-il à panser les plaies ? L’écart entre le style de la campagne et le premier discours d’investiture est plutôt de bon augure. Reste qu’on est dans l’inconnu, dans l’énigme, dans l’aventure, dans le repli. C’est un séisme qui a secoué l’Amérique en ce 8 novembre 2016 et qui aura des conséquences incalculables, sur l’Europe comme sur le reste du monde. Quant au Proche-Orient, qui fait l’objet de notre Hors-série, cette élection, incontestablement, et comment pourrait-il en être autrement, va renforcer et cristalliser les contours d’une nouvelle donne.