J’ai quitté le Maroc pour faire mon alya en Israël tout de suite après la guerre des six jours il y aura bientôt cinquante ans, porté comme des centaines d’autres jeunes juifs marocains de ma génération par cet élan extraordinaire de solidarité, de fierté et de renouveau sioniste qui a marqué cette période de l’histoire d’Israël.
Autant que j’en puisse juger aujourd’hui avec le recul du temps, mon départ du Maroc ne s’est accompagné ni de traumatisme ni de regrets, sauf celui de quitter mes parents et mon frère qui d’ailleurs n’ont pas tardé a me rejoindre en Eretz.
Mais la nostalgie du pays et plus précisément de ma ville natale, Meknès n’a pas tardé à me gagner. Les premières années, ce mal du pays a pris la forme de rêves nocturnes. Dans mes rêves récurrents, je me revoyais déambulant dans les rues du Nouveau Mellah de Meknès où j’ai passé mon enfance et mon adolescence.
Et puis, avec l’ouverture du Maroc aux visiteurs israéliens dans les années 80, d’abord cantonnée aux Israéliens d’origine marocaine et qui s’est étendue ensuite aux Israéliens de toutes catégories, j’ ai commencé à rêver « de jour » à un voyage « de retour aux sources » comme on l’appelle ici en Israël.
Il m’a fallu des dizaines d’années de procrastination pour pouvoir enfin réaliser mon rêve
L’occasion s’est présentée il y a environ deux mois lorsqu’une amie de ma famille dont les parents sont également originaires de Meknès, a propose à mon épouse Yolande de se joindre à un voyage organisé en Israël avec ses proches. Malgré quelques problèmes de santé et d’organisation au cours de ce voyage, mon épouse en est revenue conquise et enchantée.
Encouragé de la sorte, je m’inscrivis aussi à un voyage organisé qui devait durer quasi deux semaines.
A l’encontre de l’itinéraire de Yolande qui incluait un séjour de deux jours à Meknès (à la demande expresse des participants, tous plus au moins liés à cette ville), mon groupe ne passait pas par la ville impériale de Moulay Ismail, celle là même qui était évidemment la raison et l’objet premiers de ma visite au Maroc. Heureusement, l’itinéraire de notre groupe comprenait deux journées entières a Fès, située seulement à une soixantaine de kilomètres de Meknès. J’en profitais donc pour prendre une journée à moi et pour me rendre dans ma ville natale, accompagné de mon fils Jonathan à qui j’ai proposé de se joindre à moi pour ce voyage de retour au Maroc.
Après une nuit sans sommeil et un vol éprouvant de huit heures avec escale à Madrid, nous arrivâmes à Marrakech sous la pluie, ce qui pour les Marocains symbolise la Baraka, surtout après plusieurs années consécutives de sècheresse dans tout le Maroc, comme on devait l’apprendre par la suite.
Après une visite éclair a Jamaa El Fnaa et un petit tour en ville pour nous mettre dans le bain, nous nous rendîmes à Casablanca par l’autoroute, première étape d’un parcours qui devait nous conduire à travers tout le pays du Nord au sud en passant par Rabat, la capitale , Tanger , Chefchaouen, une petite ville pittoresque juchée dans les montagnes du Rif et dont la particularité est d’être peinte tout en bleu et blanc, Ouezzane, la ville où repose le saint Rabbi Amram Bin Diwan, ( particulièrement vénéré par les juifs de Meknès et par les musulmans de la région) ,Fès, la capitale spirituelle du royaume et haut lieu du tourisme du Moyen Atlas. Notre voyage se poursuivit au sud pour passer à Ifrane, le Chamonix du Maroc, Midelt, Erfoud et Ouarzazate, la Porte du Sahara marocain et la Cinecitta de l’Afrique où furent tournés plusieurs films d’action à grand budget dont Gladiator et le Dernier Empereur pour ne citer que ces deux-là. Après avoir traversé les montagnes enneigées du Haut Atlas qui culminent à plus de 4.000m et parcouru une immense plaine plantée de millions d’arbres d’Argane dont est extrait la fameuse huile aux multiples vertus thérapeutiques pour la peau, nous arrivâmes à Agadir, la perle du tourisme balnéaire et une destination de choix des surfeurs du monde entier. Et on le comprend aisément, puisque dans la ville blanche comme elle est dénommée, il fait un temps printanier la quasi totalité de l’année et la température y varie entre 22 et 30 degrés.
L’histoire d’Agadir est un véritable conte de fée et une prouesse de reconstruction urbaine du 20ème siècle. Petite ville de 30.000 habitants avant le tremblement de terre de 1960 qui l’a ravagée tuant la moitié de sa population dont 1.500 juifs (sur 3.500 que comptait la communauté (et dont les survivants ont émigré en Israël en masse tout de suite après le séisme), cette ville a été entièrement reconstruite sur ordre d’abord du roi Mohammed V ( disparu un an plus tard) puis de son successeur Hassan II qui ont lancé un appel aux meilleurs architectes et constructeurs urbains du monde entier pour venir rebâtir la ville sinistrée selon un plan bien établi. Ils ont été entendus, et cette ville moderne possède aujourd’hui le deuxième plus grand port du Maroc et compte plus d’un million d’habitants. Elle constitue le deuxième pôle touristique du Maroc après Marrakech et continue d’ attirer les investisseurs et les promoteurs du monde entier. Grâce à son climat tempéré, elle est devenue un havre paisible pour les Européens du troisième âge qui viennent s’y retirer après leur retraite.
Apres un passage obligé par Essaouira, l’ancienne Mogador, ville portuaire occupée au long des siècles par les puissances maritimes européennes les plus importantes de l’époque comme le Portugal, l’Angleterre et même la Hollande, et aujourd’hui célèbre par le Festival annuel de la musique Gnawa qui attire les mélomanes du genre du monde entier, notre périple finit en beauté à Marrakech, la ville rouge , destination préférée des touristes, célèbre surtout par la Place Jamaa El Fnaa et ses hôtels fastueux dont le fameux Mamounia. Elle compte aussi des dizaines de trésors d’architecture mauresque dont les plus célèbres sont la Mosquée de la Koutoubia et le fameux Palais Bahia. Durant notre séjour de trois jours, Marrakech accueillait son célèbre Festival annuel du film avec comme invitée d’honneur cette année l’actrice Isabelle Adjani. Nore hôtel était adjacent au Palais des Congrès de la ville qui hébergeait les activités du Festival, et j’ai pu admirer du haut du balcon de ma chambre située au sixième étage, l’arrivée des grandes stars internationales du cinéma dans leurs limousines, acclamées par une foule compacte de cinéphiles, exactement comme à Cannes ou Hollywood pour la cérémonie des Oscars. L’Avenue Mohammed VI, longue de 11km et siège du Palais des congres, décorée et illuminée de mille feux pour l’occasion, conférait à la ville un aspect féerique qu’on ne se lassait pas d’admirer.
Soit dit en passant, je dois avouer que lorsque j’habitais Meknès, je n’ai pas beaucoup voyagé en dehors de cette ville et comme pour la plupart des jeunes juifs, mes contacts avec les musulmans étaient minimes.
Ce voyage m’a permis de combler ces deux lacunes
J’ai pu découvrir le pays et ses paysages grandioses et aussi grâce à l’arabe marocain que j’ai parlé dans le passé et qui m’est revenu comme par enchantement dès que j’ai atterri au Maroc, j’ai pu avoir un contact direct et sans médiation avec la population locale et c’est surtout cela qui m’a permis de m’immerger de nouveau dans ce pays dans lequel je me sentais comme chez moi.
Les Marocains de tous bords ont fait preuve d’une extrême gentillesse et d’hospitalité a notre égard, sachant très bien qu’on venait d’Israël et peut être même à cause de cela. Tout au long de nos discussions avec les indigènes, ceux ci répétaient sans cesse leur incompréhension du départ des juifs et combien ils le regrettaient. Durant les visites aux nombreux mellahs souvent encore conservés intacts grâce à la politique délibérée du gouvernement marocain visant à préserver le patrimoine architectural et cultuel des communautés juives du passé, les habitants du quartier nous montraient les maisons jadis habitées par tel et tel juif. Plus d’une fois j’ai entendu le souhait de nos hôtes de voir les juifs revenir, car disaient-ils, ils nous ont laissé un grand vide en partant. Pour être tout à fait honnête, j’ai entendu aussi d’autres sons de cloches, surtout de la bouche d’intellectuels que j’ai eu l’occasion de côtoyer, pour qui le départ des juifs en Israël n’était rien d’autre qu’un acte de trahison et d’ingratitude de leur part.
Le Maroc que j’ai découvert pendant ce voyage était méconnaissable à plus d’un titre. Celui que j’ai laissé en septembre 1967 lorsque je suis parti, était un pays pauvre aux infrastructures vétustes héritées du protectorat français. Celui que j’ai retrouvé est un pays moderne dont les villes principales son reliées entre elles par des autoroutes(payantes!).Les villes elles même sont très propres et la voirie est bien entretenue. Et surtout, pour les touristes en tout cas, il règne une atmosphère de sécurité et d’ordre et la Police de tourisme est présente partout pour assurer la sécurité des visiteurs et éviter qu’ils soient harcelés par de prétendus guides, car il ne faut pas oublier que le tourisme est un secteur d’importance stratégique pour l’économie marocaine (en 2013 la barre des 10 millions de touristes a été atteinte, générant plus de 6 milliards de dollars de revenus).
Autre chose qui nous a frappé, c’est l’amour sincère et la vénération que portent la majorité des Marocains au roi Mohammed VI.C’est à lui qu’ils attribuent la modernisation du pays survenue depuis les années 2000.Son portrait est affiché partout, comme d’ailleurs le slogan national-Allah, Elwatan , Elmalik-Dieu, la Patrie, le Roi- (et cela n’a rien de nouveau).Le roi se sent très proche de son peuple et multiplie les déplacements à travers son royaume. Il est secondé dans sa tâche par son épouse, Selma Bennani qui est très populaire auprès des Marocains (pour sa beauté aussi) et elle est la première épouse du roi à porter le titre de princesse et la première aussi à être présentée publiquement et à entreprendre des actions officielles largement couvertes par les médias.
À l’encontre de son père Hassan II qui était très présent sur la scène internationale (souvenons nous du rôle qu’il a joué dans les contacts entre Egyptiens et Israéliens pour préparer le voyage historique du Président Sadate en Israël en novembre 1977), l’impression est que Mohammed VI prend de la distance par rapport à celle-ci et ses priorités nationales sont le bien être de son peuple et la lutte contre la pauvreté et le sous développement.
Tout n’est pas rose évidemment dans le Royaume chérifien et dans nos déplacements à travers le pays, on a pu constater de grandes disparités de développement tant au niveau des infrastructures que sur le plan socio-économique entre les zones rurales (au recensement officiel de la population de 2014, 40% de celle-ci vivaient encore dans les campagnes) et les zones urbaines.
Last but not least, les relations entre le Maroc et Israël
Hormis une courte période qui a suivi les Accords d’Oslo, où les deux pays entretenaient des relations diplomatiques officielles( certes à un niveau relativement bas de bureaux de liaison respectivement à Rabat et Tel-Aviv), les relations entre le Maroc et Israël ont toujours été informelles et officieuses et continuent de l’être encore aujourd’hui. La coopération entre les services secrets des deux pays dès le début des années 60 du siècle dernier(voir l’Affaire Ben Barka) n’ont jamais été confirmées ou démenties par aucune des deux parties. Les choses on commencé à se réchauffer au milieu des années 80 et en 1986 par exemple la visite du Premier Ministre israélien de l’époque, Shimon Peres à Ifrane où il a rencontré le Roi Hassan II, a été rendue publique.
Et de cette époque aussi datent le développement spectaculaire du tourisme israélien au Maroc, d’abord, comme il a été dit plus haut, limité aux Israéliens d’origine marocaine qui venaient en premier lieu en pèlerinage et pour « se ressourcer », et étendu depuis aux Israéliens de toutes les origines.
Pour conclure, malgré l’absence de la paix entre les pays arabes et Israël, le Maroc continue d’être l’ un des rares pays arabes (les autres sont la Jordanie et l’Egypte) à recevoir à bras ouverts des touristes israéliens. L’accueil que leur réservent les Marocains de tous horizons n’a pas son pareil dans le monde entier. Imaginons ce que cela aurait pu être si la paix régnait entre les juifs d’Israël et leurs cousins arabes.