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La fin des fictions utiles ?

Il n’est pas question ici, naturellement, de prendre position sur les prochaines élections présidentielles. Ce, d’autant moins que nous sommes au milieu du gué. Tous les candidats ne se sont pas déclarés. Tous les candidats déclarés n’ont pas exposé leurs programmes. Et la primaire de la gauche est encore à venir.

Reste qu’il nous faut revenir sur le candidat issu de la primaire de la droite et du centre. Si François Fillon, puisqu’il s’agit de lui, a été maladroit dans l’expression ou dans la formulation, l’idée qu’il a développée sur Europe 1 entre les deux tours selon laquelle la laïcité a dû être imposée aux chrétiens et aux juifs qui, dans un premier temps n’en voulaient pas, et qu’il faudrait aujourd’hui procéder de la même façon avec l’islam, est tout à fait pertinente. M. Fillon a parlé des « règles républicaines » alors que l’exemple qu’il avait en tête portait sur Napoléon et le grand Sanhédrin

(voir notre entretien avec René Gutman). Il n’est manifestement pas familier avec l’histoire du judaïsme français, mais son approche n’est pas mauvaise. Notamment celle qu’il développe dans son livre Vaincre le totalitarisme islamique où il dit des choses fortes et qu’on n’a pas toujours l’occasion d’entendre avec cet aplomb.

Il a raison d’évoquer la seconde guerre mondiale et de parler de « totalitarisme ». Ce à quoi nous avons à faire n’est pas seulement un fondamentalisme religieux, c’est un fondamentalisme religieux doublé d’un totalitarisme. Il cite Martine Gozlan – et ce ne sont pas de mauvaises lectures – sur la naissance du salafisme et sa généalogie en retraçant le parcours, depuis les Frères musulmans en Égypte, le FIS et la GIA en Algérie, la révolution khomeiniste en Iran… C’est là que naît le djihadisme contemporain, et non pas dans une supposée « crise métaphysique de l’Occident » ou « faillite de l’individualisme contemporain » que Fillon range sous l’étiquette de « calembredaines ». Il a des pages d’une grande colère contre le sort fait aux chrétiens d’Orient qui vivent peut-être les derniers jours de l’histoire deux fois millénaire de leur région. Il a raison de s’élever contre le fait qu’on s’est davantage ému en Europe face à la destruction des statues de Mossoul qu’aux chrétiens

enlevés, égorgés, décapités, massacrés en Égypte, en Irak, en Libye, ou à Gaza. Il revient sur le livre Les territoires perdus de la République, sur le rapport Obin sur l’éducation, et il dit non sans audace – personne ne l’a dit de manière aussi claire – qu’il n’y a pas un problème religieux en France, il y a un problème lié à l’islam. Chacun jugera du reste du programme, mais au moins sur un certain nombre de menaces qui nous assaillent, il se montre lucide et volontaire. C’est déjà cela.

Tous ces thèmes – l’islamisme, le terrorisme, la sécurité – se retrouveront sans doute dans les débats de la primaire de la gauche qui aura lieu les 22 et 29 janvier prochains. On lira l’ensemble des articles que nous consacrons au retrait de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, et à l’entrée en lice de Manuel Valls qui, sur ces sujets-là, a indiscutablement une longueur d’avance sur ses concurrents. Parviendra-t-il à réconcilier des courants antagonistes et à rassembler au lendemain du scrutin ? Réussira-t-il à aller à contre-courant de ce mouvement d’éparpillement façon puzzle auquel nous assistons à gauche ? Les fissures au sommet du Front National entre la tante et la nièce seront-elles à même d’ouvrir le jeu de manière à laisser une place pour la gauche au second tour ? Emmanuel Macron – qui s’exprime dans nos colonnes – arrivera-t-il à tracer sa route dans un paysage où la multitude des candidatures pèse lourd ? François Fillon ira-t-il au bout de son parcours et demeurera-t-il fidèle à ses engagements ?

Rien ne se passe décidément, depuis le début de cette campagne, comme le prévoyaient les sondeurs et les commentateurs, et tout indique que les surprises seront encore à venir. Ce qui demeure acquis, on peut l’espérer très fort au seuil de cette année cruciale, c’est que plus personne n’est disposé encore à supporter le déni, le faux-semblant, le refus de reconnaître ce qu’on voit, ce que naguère on appelait les « fictions utiles » et qui consistaient à substituer à la réalité un discours fabriqué et qui n’avait pas de prise.

Bonne année 2017 à tous et à toutes !