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Le Billet de Alexandre Adler

Paysage en morceaux

En l’espace de quelques jours, le paysage politique de la France a changé radicalement avec l’émergence de deux challengers que l’on n’attendait pas, et l’ouverture d’une perspective nouvelle.

 

La perspective qui s’ouvre désormais est sans aucun doute plus féconde pour le pays, à l’avenir, que la simple répétition avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Hollande de formules antérieures qui laissaient place à bien des critiques ainsi qu’à bien des ressentiments. Il serait néanmoins profondément erroné de penser que tout danger pour la démocratie et la république soit écarté dans l’avenir proche. Marine Le Pen est encore loin d’avoir été vaincue.

L’effondrement politique, mais bientôt aussi financier, de notre voisine et sœur l’Italie est là pour nous montrer les menaces très concrètes qui peuvent peser de manière centrale sur la poursuite de la construction européenne et surtout provoquer en Allemagne, où la crédibilité d’Angela Merkel est d’ores et déjà atteinte, les réactions de patriotisme outragé devant les manquements répétés des promesses françaises en matière de déficit public et de réforme économique. Et Marine Le Pen, qui a négocié très habilement la phase actuelle des bouleversements politiques, dispose encore de cartes fortes et du recours à une opinion nihiliste où nombreux seront les électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui, par abstention active ou par vote direct, iront l’appuyer pour un second tour où rares sont ceux qui estiment pouvoir l’éliminer d’emblée. À cela s’ajoute un désarroi des esprits qui ira croissant avec l’instauration de la présidence Trump à Washington, et contribuera, comme il l’a déjà fait dès ce printemps 2016 avec le Brexit britannique, à lever les inhibitions de toute une frange incertaine de l’opinion.

 

Récifs dangereux

Rien n’est donc malheureusement encore joué à cette date : François Fillon n’est pas certain d’une élection qu’il devra disputer avec une majorité hétéroclite d’électeurs, notamment à gauche, ou chez certains chiraquiens qui lui sont encore hostiles ; et Manuel Valls aura aussi à rendre compte des positions très courageuses qu’il a pu assumer en matière d’ordre public face à Dieudonné que seul, et sans aucun appui interne à sa majorité, il aura largement contribué à balayer. Sur d’autres questions, comme la fermeté nécessaire à l’égard de l’islamisme, la laïcité sans compromis ou la poursuite de l’édification européenne, Valls se trouvera aussi en butte aux critiques d’une gauche dont il paraît douteux qu’il puisse assurer l’unification. Il est aussi l’ennemi juré de démagogues populistes qu’on ne saurait encore qualifier de gauche ou d’extrême droite, comme l’agitateur Lordon qui cite volontiers Bernanos au secours de ses imprécations, avant sans doute de faire comme sa compagne, licenciée de l’Observateur dans un ultime effort par Jean Daniel, qui se révélera toute prête à voler au secours de l’islamisme national.

Bref, si les pires conditions de l’élection présidentielle semblent maintenant se dégager par le haut, la mer en apparence étale est pourtant hérissée de tous côtés de récifs dangereux et traîtres. Toujours fasciné comme il l’est depuis leur première rencontre dans le Nord, Jean-Luc Mélenchon continuera à aider tant qu’il le pourra Marine Le Pen par le choix de ses thèmes de campagne, par l’expression d’une exécration pathologique de la social-démocratie, mais aussi par des mesures symboliques singulières et vertigineuses, comme sa décision mystérieuse de ne plus faire chanter l’Internationale

dans ses meetings. On peut enfin compter sans risque d’erreur sur des interventions ponctuelles d’un Dominique de Villepin libéré par ses soutiens qataris de tout ménagement envers un Nicolas Sarkozy qui, à présent, s’est effacé du débat national. Dès lors, le soutien de l’ancien premier ministre, comme il l’a toujours fait, à une politique arabe fascinée par ses interlocuteurs et une politique israélienne de méfiance métaphysique, se prépare sans la moindre hésitation.

Rien de tout cela n’est insurmontable, et l’opinion publique peut encore évoluer largement dans le bon sens, voire nous réserver la « divine surprise » d’un second tour enfin normal entre François Fillon et Manuel Valls.

 

L’exercice du pouvoir

Mais pour parvenir à un tel résultat, assez mirifique dans le contexte actuel, commençons peut-être par pratiquer un certain pessimisme de la raison qui nous livrera peut-être, à terme, les clefs d’un « optimisme de la volonté » fondé en raison. Commençons donc d’emblée sur le sens et la candidature de François Fillon. Des officines de propagande totalement partisanes et qui, malheureusement, ont encore influencé Alain Juppé dans les premières heures de son second tour avec la propagation de rumeurs insanes sur l’actuel candidat des Républicains, ont commencé à se répandre sans aucune limite, et surtout sans aucune fidélité à la réalité effective et à la sincérité que l’on attendrait – mais qui ne saurait en douter aujourd’hui ? – de l’exercice de la profession journalistique.

Ici j’opposerai tout simplement mon témoignage, puisque les circonstances veulent que j’ai côtoyé régulièrement, longtemps et de manière approfondie François Fillon, que j’envisageais encore en 2006 d’aider à rédiger un livre programmatique qui aurait fait entendre à la veille de la seconde candidature Sarkozy sa propre petite musique. Certes, l’exercice du pouvoir pendant cinq ans avait conduit François Fillon à des évolutions importantes mais dont nulle n’était vraiment déchirante. Né dans un milieu catholique et démocrate des provinces de l’Ouest, François Fillon aurait dû, c’est incontestable, s’insérer facilement dans un milieu conservateur qui lui avait été transmis par son éducation secondaire et supérieure, et notamment par sa mère, historienne et universitaire, engagée dans l’action catholique.

Il se trouve que, par tempérament, le jeune François Fillon s’est très tôt rebellé contre les normes un peu rigides de son milieu d’origine, et a assumé très tôt des choix sensiblement différents. À la démocratie chrétienne, il préférera d’emblée le gaullisme social de son véritable mentor, auquel il succédera dans tous ses mandats, Joël Le Theule. Ce dernier, qui était dès la fin du règne du général de Gaulle l’un des esprits les plus acérés, les plus compétents et les plus originaux du Parlement, n’eut qu’un défaut que Pompidou lui fit payer chèrement : sa participation aux campagnes des gaullistes les plus attachés à la personne du Général, contre Georges Pompidou à partir de leur rupture de 1968. Le veto opposé à Le Theule par le nouveau président fut évidemment intégralement transmis à son fidèle desservant Jacques Chirac, qui se fit un plaisir, une fois premier ministre de Giscard d’Estaing, de continuer la « fatwa » anti-Le Theule.

Ce fut donc Giscard, désormais en lutte contre le nouveau RPR de Chirac, qui sortit enfin Le Theule de son exil forcé, et le nomma, ce dont tout le monde se réjouit en raison de ses compétences, à la tête du ministère de la Défense. Le destin cruel voulut que le nouveau ministre s’effondrât rapidement sur son bureau de la rue Saint-Dominique d’un infarctus mortel, laissant ainsi le jeune François Fillon, à 28 ans, orphelin d’un inspirateur de sa politique et en position de lui succéder tant au Parlement qu’à la mairie de Sablé, à la veille du triomphe de François Mitterrand.

 

Rebelle et inclassable

Gaulliste de gauche dès ce moment et fort mal vu de Jacques Chirac, François Fillon manifesta une sympathie constante pour Raymond Barre, qui avait fait équipe au gouvernement avec Le Theule, et se retrouva bientôt orphelin de toute affiliation partisane, au sein du premier parlement mitterrandiste où les survivants de la droite et du centre n’étaient plus qu’une poignée. Il se trouve qu’un autre orphelin, tout aussi individualiste et courageux, apparut à peu près au même moment avec Philippe Séguin, miraculé de la droite dans une circonscription d’Épinal traditionnellement orientée vers la gauche par son École normale d’instituteurs.

Mais Séguin sut très vite mettre cette gauche dans sa poche, gouverner localement avec elle et apparaître aux yeux de tous comme un véritable baladin de l’opposition, sans peur et sans reproche, mais aussi profondément attaché à un gaullisme social, à l’époque très opposé à ce que racontait Jacques Chirac. Se vantant d’avoir milité très jeune à l’UNEF contre la guerre d’Algérie, d’avoir été à Aix-en-Provence un compagnon de route de Gaston Defferre, qu’un ancien député socialiste, grand résistant, rallié de 1959 au général de Gaulle, Max Juvénal, avait poussé dans les bras du Général, Séguin était une individualité aussi rebelle et inclassable que l’était depuis l’adolescence, François Fillon.

Les deux hommes s’entendirent immédiatement, bien davantage par tempérament rebelle que par des options idéologiques très tranchées. Mais leur talent incontestable leur donnait, comme au boson de Higgs, une densité inattendue au sein d’une droite parlementaire très désorientée, par la déroute parallèle de Giscard et de Chirac. Convaincu de la nécessité d’un grand parti, mais en sympathie profonde avec les idées et avec les postures d’un Jean-Pierre Chevènement à gauche, qui était souvent son inspirateur caché, Philippe Séguin estimait d’emblée que les chances de son originalité dépendraient d’une discipline rigoureuse au service de la cohésion d’un grand parti, en l’occurrence le RPR, et non d’aventures sans lendemain, telles que les connaissait un Michel Jobert, qui l’avait pourtant appuyé dès le départ dans le Matignon de Georges Pompidou, lorsqu’il eut découvert que son défunt père était mort dans la première armée, où ce dernier avait également servi, depuis le Maroc jusqu’à Rhin et Danube. Mais aussi, au-delà de la sympathie individuelle réciproque, Philippe Séguin estima rapidement que par sa culture chrétienne des provinces de l’Ouest nullement dissimulée, François Fillon formait avec lui le couple indispensable pour rassurer l’opinion de droite sur sa fiabilité, aux temps où un Jobert s’était rallié à Mitterrand.

 

Inspiration séguiniste

Nulle ruse de bas étage dans cette attitude délibérée de Philippe Séguin, mais la conviction tirée du gaullisme qu’une majorité politique en France devait combiner les deux héritages laïque et catholique prétendument opposés de la Nation. Philippe Séguin se voyait parfaitement, en amoureux de l’épopée de la France libre, faire cohabiter dans un même projet libérateur des chrétiens presque intransigeants, comme Fillon, qui incarnaient la poursuite de la trajectoire d’un Honoré d’Estienne d’Orves, et des Francs-maçons bon teint, nombreux dans son entourage, comme ils l’avaient été à Londres derrière le préfet Jean Moulin.

Ceux qui prétendent que François Fillon aurait rompu de quelque manière avec cette inspiration séguiniste originelle méconnaissent tout simplement le caractère fondateur et accepté tacitement par les deux hommes de cette complémentarité qui fut du reste féconde. Si François Fillon, qui avait son quant à soi, demeura dans le gouvernement Balladur, où il réussissait par le dialogue et la persuasion à transformer toute la politique française des hautes technologies sans provoquer de grève des Postes, que tous avaient jugé inévitable à terme, c’est en plein accord avec Philippe Séguin qu’il soutint, avec mesure, la candidature de Balladur.

Cela, sans jamais rompre le contact, j’en suis le témoin direct, avec Philippe Séguin, qui avait résolu de soutenir Jacques Chirac et même, disons le clairement, de lui fournir une énergie, un style et un programme dont le président du RPR s’était jusque-là montré parfaitement incapable. Puis, ce fut la déconfiture du gouvernement Juppé, et François Fillon, pour qui Séguin avait insisté auprès de Chirac pour qu’il soit préservé au gouvernement, se comporta avec une générosité et une ouverture d’esprit parfaitement évidentes, repêchant des persécutions juppéistes de nombreux militants séguinistes qui trouvèrent à se recaser, et souvent à réussir, dans ses divers cabinets.

De critique de la loi Veil sur l’avortement, je n’en entendis jamais formuler la moindre esquisse, pas plus que je n’eus à être témoin de la moindre réserve sur la recherche de dispositions législatives équitables qui puissent réparer les persécutions abominables, les humiliations diverses et les handicaps absurdes dont les homosexuels étaient toujours victimes en France. Il est évident que le choix par François Hollande et Christiane Taubira d’un débat public violent, qui tourna rapidement à la rixe, pouvait être déploré sans la moindre homophobie ni la moindre volonté de retour en arrière.

Ce fut le cas, mais fort discrètement, d’un François Fillon qui eut préféré une démarche plus consensuelle fondée sur des commissions et, si cela avait été possible, sur une législation de droit civil en faveurde l’héritage et de la propriété des conjoints des homosexuels, qui aurait peut-être évité le terme parfois impropre de mariage. Mais peu importe, François Fillon ne fit jamais la moindre manifestation de cléricalisme ou d’homophobie et l’évolution incontestable de sa pensée n’aura porté que sur trois points.

Tout d’abord, dans l’exercice de ses responsabilités, tout comme dans sa connaissance intime de l’évolution de l’opinion britannique, François Fillon a estimé que le projet de Nicolas Sarkozy de réintégrer sans exagération politique l’organisation intégrée de l’OTAN ne représentait en rien aujourd’hui une « trahison des idéaux du gaullisme ».

N’était-il pas plus important de consolider aujourd’hui une véritable entente à trois Paris-Berlin-Londres en matière de défense européenne, plutôt que de maintenir un obstacle institutionnel devenu obsolète, quoi qu’il arrive, avec la fin de l’Union soviétique ? En défendant aujourd’hui un rapprochement avec Vladimir Poutine, Fillon confirme son manque de préjugé « politiquement correct » et son engagement prioritaire à ne pas laisser le Brexit dégénérer en rupture véritable.

 

L’État en faillite

Deuxième aggiornamento filloniste que tout le monde peut constater. Arrivant à Matignon sous Sarkozy, Fillon avait déjà à son actif des tentatives importantes de dialogue social avec les syndicats dont le but aura été d’assouplir, tant que c’était possible, les 35 heures. Très vite néanmoins, il constate que la rigidité des 35 heures, qui est une catastrophe économique pour le pays, se heurte à l’obstination totale de la CGT et de FO et ne laissera à l’avenir de place, comme pour la question des retraites, qu’il finira contre les hésitations de Nicolas Sarkozy à imposer à l’arraché. Or, cette démarche d’autorité est tout simplement impossible compte tenu de l’ascendant du principal conseiller du président, Henri Guaino, qu’il a côtoyé un temps avec Philippe Séguin avant que ce dernier ne s’éloigne pour rejoindre Pasqua et donne raison à l’analyse de Chirac, qui finit par penser que l’adoption des 35 heures aura été une grande avancée sociale. Bombardé de quolibets et

d’humiliations calculées par un Sarkozy déchaîné par ses deux premières années de mandat, François Fillon fait montre alors de stoïcisme et de calme mais rend coup pour coup en prononçant les paroles fatidiques de mise en faillite pure et simple de l’économie française à partir de son laxisme budgétaire.

Or, le rapprochement de Sarkozy et de Merkel à partir de 2009 valide entièrement l’option de rigueur de François Fillon, et le conduit à nuancer évidemment les critiques qu’il porte toujours au caractère technocratique de l’Union européenne. Redresser l’UE sans aucun doute, diminuer les pouvoirs dérisoires et excessifs de la Commission de Bruxelles demeurent toujours son credo gaulliste, mais rompre avec l’Allemagne en ce moment si délicat lui semble impossible et dangereux.

Tel serait « l’ultralibéralisme » de Fillon qui manifestement n’a d’autres intentions que d’accélérer le redressement financier avant le déclenchement d’un mécanisme pervers auquel l’Italie semble déjà aujourd’hui très exposée. Il n’y a ici aucune légitimation du « reaganisme traditionnel », encore moins d’adhésion béate au seul mécanisme du marché pour un homme qui a toujours cru aux vertus d’un État entrepreneur et stratège.

Le troisième point sur lequel Fillon va évoluer plus radicalement encore, c’est la question russe. Très tôt sensible, comme l’était Philippe Séguin, que j’influençais dans ce sens, aux affinités électives de la France et de la Russie, François Fillon a vite pensé que la logique de l’OTAN conduisait à faire fausse route avec Moscou, à isoler les éléments réformateurs en Russie et à provoquer une réaction compréhensible mais dangereuse dans l’opinion russe. Ses contacts personnels avec Poutine, notamment au colloque de Valdaï, lui ont permis de comprendre aussi que Poutine a été contraint par la gravité de la crise ukrainienne à jouer au plus fin avec l’aile nationaliste de son pouvoir tout en désarmant peu à peu ses soutiens ultras, et on s’en aperçoit à présent, au risque de sa vie, après l’avertissement sans frais qu’a pu représenter le meurtre de Boris Nemtsov à quelques centaines de mètres de son domicile.

Utilisant la bonne volonté de la France et de l’Allemagne, toutes deux relatives au demeurant, Poutine a commencé la descente en préservant la légitimité du pouvoir ukrainien et en fermant la porte à toute annexion unilatérale du Donbass une fois son premier objectif en Crimée atteint. Puis, ce que personne n’a l’air de comprendre, il a opéré un véritable virage sur l’aile vers l’Orient compliqué pour réorienter en totalité la perception par les Russes de ses priorités politiques.

Décrétant ainsi le caractère central de la lutte contre l’islamisme, Poutine a évidemment tendu un bras secourable aux pays d’Europe et du Moyen-Orient en première ligne de ce combat, tout particulièrement la France d’après les attentats de novembre 2015 et l’Iran réformateur de Rohani. Il a aussi au passage imposé un bon compromis à la semi-dictature turque d’Erdogan tout en veillant à consolider une ligne de défense nouvelle et originale incluant, au côté d’Israël, Chypre et même la Grèce de Tsipras. Telle est sans maquillage propagandiste la véritable politique de Fillon que les Français devront peu à peu juger pour ce qu’elle est vraiment : un véritable retour aux intuitions fondatrices du gaullisme, notamment en matière de relations franco-russes.

Si nous passons à présent et nécessairement plus brièvement sur le cas Manuel Valls, c’est aussi parce que l’objectif qui est le sien de remonter l’image et la densité du Parti socialiste, d’en prévenir l’explosion qu’il a jugée par ailleurs inévitable à de nombreuses reprises, vont au départ contraindre l’expression de sa pensée véritable. Mais celle-ci, nous la connaissons déjà. À un moment où le flirt avec l’antisémitisme majoritaire dans la communauté beur organisée paralysait toute pensée critique à gauche, Manuel Valls a décidé, tout seul et sans l’appui de François Hollande, d’affronter directement le problème de liberté publique que représentait la propagande intolérable de Dieudonné.

 

La clarification nécessaire

Intolérable, parce que comme les politiquement corrects de la gauche socialiste et journalistique feignent de l’ignorer ou l’ignorent carrément, la propagande de Dieudonné est depuis fort longtemps contraire à la loi, notamment la loi Pleven de 1972, qui considère les injures racistes et les appels à la haine antisémite comme des délits véritables, et non des bavures inscrites malgré tout dans la liberté d’expression. Il se peut que l’Amérique, loin du conflit européen, ait cru bon de légiférer dans ce sens et assure toujours la protection de meetings nazis en uniforme. Mais en Europe, en France et en Allemagne notamment, ce genre de provocations se fait en violation de la Loi.

Manquait un homme politique sérieux pour décider de mettre en œuvre cette loi, à ses risques et périls. L’inqualifiable Roland Dumas mettra cette démarche sur le compte du mariage de Manuel Valls avec une artiste juive et militante qui ne s’en cache pas, Anne Gravoin. Mais c’est mal connaître le désormais ancien Premier ministre que d’imaginer dans cette démarche une visée aux limites de la sentimentalité et de l’indignation morale. Il est apparu à Manuel Valls que la clarification nécessaire au nouveau climat dont il a eu l’intuition bien avant les autres passait par une fermeté verbale et réglementaire et non dans les concessions sans principe.

Il a par ailleurs souhaité accompagner cette démarche d’une dénonciation, un peu maladroite, des « ghettos » dont nos banlieues seraient parsemées mais qui correspond bien à son expérience, alarmée et lucide, d’une dégradation de la démocratie urbaine dans tout notre territoire. Si, par ailleurs, ses engagements rocardiens, qui font suite au modérantisme catalan de sa famille proche de Salvador Dali, le poussaient à des analyses économiques plus lucides que d’autres et à dénoncer avant tout le monde la comédie des 35 heures, Manuel Valls a aussi montré dans toutes les circonstances un engagement sans failles à l’unité de son parti et une capacité de rassemblement dans une commune aussi difficile qu’Evry qui, jusqu’à présent, n’a laissé personne de côté, particulièrement les communistes qu’il n’a jamais accablés, à la différence d’un Laurent Fabius, d’un quelconque mépris de classe.

Pour le reste, les positions diplomatiques équilibrées de Manuel Valls sont bien connues, notamment des Israéliens, qui savent parfaitement qu’il souhaite l’instauration rapide d’un État palestinien véritable, dont son engagement personnel envers la communauté juive de France est bien le garant qu’il ne comporte aucune volonté d’isoler Israël.

Bref, dans une France réputée antisémite et réticente à la véritable intégration de tous ses fils nous voyons que la dialectique politique a mis sur le pavois deux réformateurs courageux et individualistes chez lesquels on ne trouvera pas la moindre trace de quelque préjugé raciste, que ce soit à l’égard des juifs mais aussi de nos compatriotes musulmans et de toutes les minorités en général, fût-ce les catholiques extrêmes que la politique souvent stridente de François Hollande et de Christiane Taubira ont fait sortir de la discrétion qu’ils méritent par le simple choix de provocations verbales qui, à présent, surdimensionne leur poids spécifique.

On parlerait moins de la dérisoire Ludovine de La Rochère si les soutiens égarés du militantisme du « Mariage pour tous » ne l’avaient littéralement projetée des ténèbres vers une éphémère lumière. En ce qui concerne les amitiés catholiques et régionales de François Fillon, je ne lui connais véritablement que celle longue et pleine de tendresse qu’il a réservée à Roselyne Bachelot, dont le père, grand résistant gaulliste de gauche, fut toujours traité avec peu de considération par ses collègues plus conservateurs ; aux prieurs cisterciens de l’Abbaye de Fontevrault où il aurait voulu que Sarkozy aille se reposer et méditer après son élection de 2007, et qui incarne exactement les valeurs philosophiques et morales que l’on prête aujourd’hui volontiers au Pape François, et enfin à Anne Lauvergeon, qu’il souhaita faire rentrer au gouvernement à son arrivée à Matignon et dont j’attends qu’on me montre le « catholicisme intégral » chez une sévrienne de gauche, fille de professeur républicain, et nostalgique de la Salonique juive de ses ancêtres paternels.

Je sais aussi que des petits factieux en France et en Israël se sont divertis à raconter n’importe quoi sur le prétendu antisémitisme de François Fillon ; ici, qu’il me soit permis un témoignage personnel au sujet de l’homme : pendant toute sa période à Matignon, il avait accordé, entre autres, une confiance totale à trois personnes dont il appréciait la loyauté et les analyses. Son ami intime Igor Mitrofanoff, qui est issu d’une famille de l’intelligentsia russe de Moscou partiellement juive, sa porte-parole, la journaliste Myriam Lévy… et moi-même auquel il demanda, il y a longtemps, de lui rédiger un discours après la profanation d’un cimetière juif en Alsace, et dont il apprécia particulièrement après ce jour les analyses en ce domaine.

Croyez-moi, la communauté juive à beaucoup mieux à faire, dans la terrible bataille qui s’annonce, que de prêter l’oreille au « lachone hara », à la calomnie, tant contre Fillon que contre Valls, alors que leur désignation simultanée signifie si clairement que la France entière de la République et de la Démocratie va enfin se battre contre les remugles populistes d’une partie de sa société en décomposition et contre un islamisme séparatiste qui voudrait piétiner les valeurs de la grande majorité de nos compatriotes pour lesquels l’appartenance à l’islam conduit évidemment à l’adhésion à la France. Le camp du bien vient de se révéler, mais il est encore loin d’avoir gagné.