La réédition en dvd et la sortie en salles, le 22 février, du film de Chris Marker « Description d’un combat » originellement sorti en 1961, est un événement cinématographique.
Ce film entouré de mystères comme les aimait à cultiver le cinéaste disparu en 2012, est la fois un film de commande et une ode à un Israël qui entre dans l’âge de sa maturité. Il marque les esprits à son époque et encore aujourd’hui, tant dans sa liberté de ton, que par la beauté de ses images et de sa bande sonore. Interdit à la diffusion par son réalisateur depuis 1967, sans doute pour des raisons politiques, le film vient de retrouver une seconde vie.
Douze ans après la déclaration d’indépendance, Chris Marker parcourt Israël pour y faire les repérages photographiques de son quatrième film. Après « Dimanche à Pékin » (1956) et « Lettre de Sibérie » (1958), et avant « Cuba Si » (1961) Chris Marker reçoit, à 39 ans, une commande des producteurs Wim et Lia Van Leer. Véritables pionniers, ils sont les fondateurs de la cinémathèque de Jérusalem et d’Haïfa, puis de l’Israël Film Archive. Lia Van Leer se souvient de la genèse du projet qui devait s’intitulé provisoirement Israël : «Chris a accepté de réaliser un film pour nous mais à la condition d’être libre et de faire ce qu’il voulait et que l’on ne lui impose pas ce qu’il devait filmer ». Des quatre cents photographies de Marker prises au cours de ses multiples voyages dans tout le pays, aucune ne semblent avoir depuis été retrouvées. Le cinéaste parvient pourtant à insuffler le mouvement et la vie à ces ébauches, en s’accompagnant notamment de l’un des plus grands directeurs de la photographie – Ghislain Cloquet (1924-1981)- qui reçut un oscar, à titre posthume, pour son travail sur « Tess » de Roman Polanski, en 1981.
La force et la lumière qui habitent « Description d’un combat » sont encore aujourd’hui intactes, et ce grâce à la parfaite restauration réalisée par Argos Films et The Israeli Film Archive. Les plans recèlent une chaleur émanant tant dans les paysages scrutés, que dans les portraits des êtres rencontrés au gré des routes. Il ne s’agit pas d’un voyage organisé en tour opérateur auquel nous invite Chris Marker, mais bien d’une plongée hypnotique portée par la voix-off de Jean Vilar, véritable clef de voûte du film. Dans ce dédale de sons, d’images d’archives, de prise de vue réelles, ou de moments improvisés captés sur le vif, la voix renvoie à la portée sociologique et philosophique du texte écrit par Marker, quand à d’autres moments cette narration se change en improvisation, puis en transe audiovisuelle.
Comme dans « Le Joli Mai » (1962) ou « Sans soleil » (1984), le réalisateur ne se cache jamais des personnes prises pas sa caméra, faisant de l’acte même de filmer, un jeu ou un rituel. « Description d’un combat » est un puzzle aux fragments multiples assemblé et magnifié par le travail de la monteuse Eva Zora. Le décalage de la bande sonore en rapport avec le rythme des images est toujours affaire de glissements et de frottements chez Chris Marker. On trouve dans toute son œuvre cette façon unique d’avoir su transformer l’outil et la matière cinématographique. Une économie de moyens toujours au service du propos et des sens, de la vue comme de l’ouïe. Il faut revoir, en cela, l’utilisation de la technique du photomontage qu’il emploie dans son film d’anticipation « La Jetée » (1962).
« Description d’un combat », dont le titre est peut être emprunté à la nouvelle de Kafka du même nom, possède une musique inouïe qui est l’œuvre de la musicienne d’origine chinoise : Lalan. Femme du peintre Zao-Wouki, puis du sculpteur et musicien français Marcel Van Thienen, elle signe ici une partition inspirée de ses expérimentations au sein du GMAP (Groupe de musique algorithmique) et héritée des sonorités de son maître, Edgar Varèse. Le déluge des sonorités dissonantes et percussives, ou les gestes libres et aléatoires joués qui en découlent apportent au film un lien effervescent. À l’image de la civilisation qui est en train de grandir à l’écran.
Tour à tour, le ton du film se fait ironique puis poétique, mais toujours fasciné par cette jeune nation. Comme ce plan tourné à Eilat, sur une plage quasi-déserte et où subsiste un hôtel à quatre étages et deux chambres, la voix off semble s’interroger sur l’avenir de ce lieu : « …Deviendra-t-il Miami Beach ?». Chris Marker interroge le spectateur sur l’avenir de cette jeunesse israélienne, avec ce jeune homme, Ali, qui descend une route à toute vitesse sur son skateboard de fortune ; ou lorsque qu’il scrute longuement cette jeune fille en train de peindre. Telle une métaphore générale de l’tat d’Israël à l’aube de sa majorité, cette séquence interroge sur l’histoire, l’existence et l’avenir de ce pays. « Quel est son désir de construction, de puissance et son envie de liberté ? Comment des sentiments telle que l’injustice se manifestent-t-il sur une terre qui, elle-même, est la rançon de l’injustice ? », vient nous questionner Chris Marker.
Pour lui, cette réflexion était l’enjeu du premier combat, laissant à l’issue du film l’éventualité d’un deuxième combat. Le coffret dvd distribué par Tamasa distribution, comporte un deuxième film intitulé « Description d’un souvenir » réalisé en 2006 par le réalisateur israélien Dan Geva. Sans atteindre la beauté du film de Marker, cet essai filmique, revient sur les lieux visités et les personnes rencontrées lors du tournage de « Description d’un combat », quarante six ans après. Comme une nouvelle page qui était en attente, cachée, ou qui attendait d’être écrite, Dan Geva semble parachever le film de Chris Marker. Ce dernier lui écrit, alors, un message qui peut s’adresser à tout les cinéastes en devenir: « Jamais satisfait de mes films, je suis cependant conscient d’avoir pu entrouvrir certaines portes, indiquer quelques directions… mon souhait secret fut toujours que quelqu’un puisse prendre la relève et transformer mes croquis en peinture accomplie. »