Entretien avec le nouveau directeur général du Fonds social juif unifié.
L’Arche : Vous êtes engagé dans l’associatif depuis de nombreuses années. Vous avez été directeur général du CASIM à Marseille et vous venez d’être nommé directeur général du FSJU et de l’AUJF. Dans quel état d’esprit abordez-vous ces nouvelles fonctions ?
Gérard Uzan : Comme une mission impérative et comme un challenge important pour moi et pour l’institution. Je dirais que la communauté juive a beaucoup changé ces dernières années, que le tissu associatif juif a lui aussi changé, et que le FSJU doit changer pour s’adapter à cette nouvelle situation. Je pense qu’une communauté qui est en plein désarroi, qui se pose un certain nombre de questions majeures, doit pouvoir se reconnaître dans une institution comme la nôtre. Il est important que les partenaires du FSJU puissent aussi s’y reconnaître. Nous devons rénover et revitaliser notre fédération. Nous devons renforcer notre partenariat pour en faire le noyau d’un nouveau projet associatif global qui soit en mesure de mettre en œuvre, pour le bien commun, la grande puissance que représente près de 350 associations sociales, éducatives et culturelles en France afin de faire progresser nos valeurs et défendre nos intérêts communs.
L’objectif de notre institution est de développer et de pérenniser la vie juive en France. Dans une France déboussolé et qui perd ses repères, c’est presqu’un acte de résistance.
Pour cela, nous devons collecter les moyens nécessaires pour renforcer cette vie sociale, riche et unique en Europe. La mission que me demande de réaliser, le Président, Ariel Goldmann et les élus, c’est de modifier, d’adapter l’outil Fonds social pour prendre en compte ces nouveaux enjeux et ces nouveaux défis. Donc, je suis à la fois heureux de revenir à Paris, fier de diriger cette institution et rempli de modestie sur mes capacités à résoudre ces problèmes-là. Je mettrai tous mes talents – si j’en ai –, toutes mes compétences – si j’en ai – à réaliser cette adaptation et à lui donner les moyens pour qu’elle réussisse sa mission, une mission qui est nécessaire pour la communauté juive dans ces moments difficiles.
L’Arche : Quels sont les grands projets que vous estimez être prioritaires et dans lesquels vous comptez vous investir ?
G.U : Il faut d’abord transformer l’outil AUJF. Je vais prendre une image pour me faire comprendre. Quand on a subi une opération et qu’on est amputé d’un bras ou d’une jambe, pendant des semaines, pendant des mois, on a l’impression que ce membre qu’on nous a enlevé est toujours là. Or, vous le savez, pendant des décennies, l’AUJF et le Keren Hayessod ont travaillé ensemble. Et puis, pour des raisons qu’on n’expliquera pas aujourd’hui, ces deux belles institutions se sont séparées. On fonctionne encore comme si nous étions deux. Il faut adapter l’outil AUJF, le moderniser, former les personnels de façon différente, faire en sorte que cet outil soit au service de la mission principale, puisqu’il doit collecter de l’argent, argent qui doit servir à irriguer toute la communauté juive dans toutes ses capacités, dans toutes ses initiatives et dans tous ses talents. Le Fonds social doit être l’institution centrale. Parce que le FSJU est indispensable, il a l’obligation d’être transparent. Un donateur doit savoir très exactement comment et pourquoi est utilisé son don. Donc, premier objectif, moderniser l’outil. Et puis, deuxième mission, peut-être cela paraîtra-t-il aller de soi, faire en sorte qu’on puisse travailler ensemble. Le Fonds social, ce n’est pas seulement du social, c’est du culturel, c’est de l’éducatif, c’est l’animation des mouvements de jeunesse, des centres communautaires, ce sont des médias, c’est beaucoup de choses, et c’est même des programmes que je vais encore découvrir dans les jours et dans les semaines qui viennent. C’est également et c’est essentiel, un personnel investi, compétent. Il y a très peu d’institutions, même européennes, qui puissent se targuer d’avoir des programmes aussi divers, aussi riches, et je souhaiterais qu’ils deviennent complémentaires. Nous devons renforcer notre partenariat avec les associations. Une fédération c’est une expertise au service de tous. C’est une évaluation nationale des actions, de leur utilité, de leur efficacité au service de tous. C’est la mutualisation nationale des compétences, des savoirs faires et des expériences réussies, au service de tous. C’est le rapprochement, le regroupement des associations d’un même secteur. C’est une politique ambitieuse de formation et de développement de ressources humaines au sein du Fonds Social et des associations. La démocratie oblige à partager, à écouter l’autre, à s’inspirer de l’autre. Nous avons tous intérêt à voir le maximum de forces travailler dans le même sens. Ce n’est pas de l’idéalisme. C’est la forme la plus authentique du réalisme.
L’Arche : La communauté juive française vit, vous l’avez dit, une période difficile, entre la situation sécuritaire, l’essor de l’antisémitisme, les incertitudes politiques. Comment sentez-vous cette communauté ? Inquiète ? Combattive ? Optimiste pour l’avenir ?
G.U : Elle est inquiète, c’est une évidence. Elle est angoissée, c’est une certitude. Je suis par nature pessimiste. Étant pessimiste, je prévois le pire en espérant qu’il n’arrivera jamais. Mais je pense que le pire est possible. Les attentats sont possibles, l’arrivée d’une majorité d’extrême-droite est possible. Déjà, les événements tragiques de 2015 ont entraîné une Alya importante. Mais on n’a parlé que de l’Alya vers Israël. Il y a presqu’autant de juifs qui sont partis en Israël que de juifs qui sont partis au Canada, aux États-Unis, en Australie ou ailleurs. Or, qui part ? Ce sont les forces vives de la communauté juive, les jeunes entre 25 et 40 ans, qui ont des enfants en bas-âge et qui vont, en Israël ou ailleurs, reconstruire leurs vies. C’est un formidable problème d’adaptation qui se pose à nous. Donc, tout cela nous oblige à repenser l’organisation du FSJU et à être au plus près des besoins. Besoins en France et besoins en Israël ou le FSJU a créé une délégation et soutient plusieurs programmes vers des publics les plus en difficultés mais également des programmes pour accompagner l’intégration des olim.