Pendant une semaine, les spectateurs pourront voir une vingtaine de films au Cinéma Majestic Passy. Fictions, documentaires, courts-métrages et hommages à Ronit Elkabetz se mêlent. Rencontre avec Eitan Anner, qui réalise A Quiet Heart, un film très intéressant qui se déroule dans le quartier de son enfance à Jérusalem : Kyriat Yovel. Lequel sera projeté, en présence du réalisateur, samedi (17h) et dimanche (19h30) au Festival.
L’Arche : Qu’est ce qui vous a inspiré à travailler sur ces thématiques ?
Eitan Anner : Je suis né à Jérusalem, dans le quartier où le film a été tourné. J’ai vécu à Jérusalem et j’y ai étudié le cinéma, quittant la ville à 30 ans pour Tel Aviv. J’y étais très heureux en tant qu’enfant puis étudiant. J’ai quitté la ville pour des raisons très prosaïques. Je n’arrivais pas à y trouver du travail et pour être honnête les filles que je draguais à l’époque habitaient à Tel Aviv. J’y habite donc depuis près d’une vingtaine d’années. Néanmoins, je me considère toujours comme une personne issue de Jérusalem. Petit à petit, mes parents ont déménagé ici, ainsi que mes amis. Récemment, une réunion d’anciens élèves s’est tenue à mon école de Kyriat Yovel, le quartier où se déroule le film. On a réalisé que sur les 35 élèves, 33 avaient quitté la ville. Il s’agit de Jérusalem, pas de Flint dans le Michigan ! Ca m’a perturbé de constater cela. Lors d’une conversation avec des gens à ce sujet, j’ai constaté que le quartier de Kyriat Yovel avait fait la couv du Time magazine. Ils décrivaient se quartier un des points névralgiques de la bataille entre laïcs et religieux de la ville. Un type avec qui je travaillais sur une série télé m’a dit que sa jeune sœur était pianiste et qu’elle voulait étudier les PIPE ORGANS. Elle est allé à Jérusalem, recevant des lettres de menace. Qu’on avait forcé sa porte. Elle a eu peur et est retournée à Tel Aviv. Ces bribes d’infos m’ont donné envie d’en savoir plus et surtout d’en faire un film. Je n’arrivais pas à croire que cette personne qui souhaitait retourner à Jérusalem, d’où tellement de gens partent, était si mal accueillie par nous ! J’utilise le « nous » car je me considère toujours comme quelqu’un de cette ville. Cet échec m’a perturbé. J’ai souhaité écrire une histoire qui ne se terminerait pas par une défaite de ce genre. J’ai moi-même beaucoup étudié le piano. Mon expérience personnelle est mêlée au scénario.
Est-ce que vous pensez que Jérusalem est une ville moins tolérante aujourd’hui qu’il y a 20 ans ?
Je ne le pense pas. J’enseigne aujourd’hui à l’école Sam Spiegel. J’y vais donc une fois par semaine. Jérusalem n’est pas moins tolérante. Juste que certaines choses qui avaient l’habitude de se dérouler dans des quartiers orthodoxes du centre-ville comme Méa Shéarim où vous pouviez être agressé si des gens estimaient que vous faisiez des choses interdites, surtout à certains moments. Les femmes en minijupe ne s’y promenaient pas et ne le font toujours pas. Ce qui a changé, c’est que cela n’est plus confiné seulement à ces quartiers. Ce n’est pas la ville qui change. Il y a toujours eu cette dichotomie entre Jérusalem en tant que ville et en tant que ville sainte. Cela fait 3000 ans. Il s’agit de notre capitale avec tous les éléments symboliques qui vont avec. Les sentiments sont exacerbés. Mais il s’agit aussi d’une ville avec ses 800000 habitants qui sont concernés par des réalités de tous les jours comme l’éducation, la culture, la fluidité des routes et des égouts… Tout ce qui fait une ville. Une des raisons qui a motivé les gens à partir est l’accent mis constamment sur l’aspect sacré de la ville en négligeant la gestion d’une grande ville qui la rendrait confortable à vivre.
Ania Bukstein joue de manière remarquable dans votre film. Comment avez-vous décidé de travailler avec elle ?
Ania joue presque toujours des rôles d’Amazones. Des femmes fortes, sans peur, parfois dangereuses. Comme le montrait l’affiche du film d’horreur israélien Rabies (2010). Le sang y coulait de sa bouche. C’est assez surprenant de confronter cette image à la personne. Ania est assez petite. La force qu’elle montre à l’écran est une sorte de rejet de la faiblesse. J’ai essayé de la reconnecter avec cette fragilité. On a voulu que ses habits ne soient pas trop sexy. Plutôt simples. Pas ceux d’une femme fatale. Ania a une formation de pianiste. Elle a vécu à 16 ans le même genre de crise que le personnage qu’elle interprète. Son attache au personnage a été très rapide. Je ne voyais qu’elle dans le rôle et j’en suis très heureux aujourd’hui.