Rarement campagne présidentielle aura été à ce point dépourvue de fond, inapte à aborder les problèmes majeurs auxquels la société française est confrontée et continuera de l’être dans les années qui viennent. Ni les ravages de l’islam radical, ni le retour des djihadistes, ni la montée de l’euroscepticisme, ni les fractures de la laïcité, ni les dégâts du néo-antisémitisme, ni le malaise policier ne sont parvenus à trouver réellement de place dans un débat où les « affaires » réelles ou supposées ont eu un rôle disproportionné dans la campagne, quoi qu’on pense de leur importance et de leur gravité. Ni les fusillades dans les écoles, ni les prises d’otages dans des aéroports, ni les violences dans les cités n’ont réussi à vraiment capter l’attention et forcer les candidats à s’y frotter vraiment.
Rarement les électeurs se seront sentis, à quelques semaines du scrutin, aussi hésitants, aussi désorientés et aussi peu sûrs de leur choix. Ils se sont montrés prompts et déterminés dans leur volonté de sortir les sortants et tous ceux dont ils avaient décidé qu’ils ne voulaient plus de leurs services – Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls -, mais ils continuent de se montrer sceptiques sur le dernier carré des candidats qui ont passé la barre.
Rarement on aura vu autant de candidats courir après l’appellation de l’ « antisystème », y compris ceux d’entre ceux qui gèrent leur fortune comme leur électorat depuis des lustres, ayant reçu l’une et l’autre en héritage, ou ceux qui jouent aux jeunes perdreaux et font mine de renverser la table alors qu’ils ont été élevés dans le sérail et connaissent la musique par cœur.
Les deux candidats qui émergent dans cette campagne et se disputent la deuxième place – puisqu’aussi bien c’est la deuxième place qui est convoitée, et chacun s’en rend compte aisément, le vote utile, pour ceux qui se refusent à l’abstention dans un enjeu aussi crucial, consiste à voter dès le premier tour pour le candidat le mieux à même d’empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir – restent Emmanuel Macron et François Fillon. L’Arche a publié un entretien avec le premier dans notre dernier numéro. Nous interrogeons le second dans ce numéro-ci. Ils s’expriment tous les deux sur les sujets qui nous préoccupent et chacun jugera de leur programme en la matière. L’un et l’autre ont aussi parlé devant les Amis du Crif et on a pu voir qu’ils y comptent des sympathisants et des soutiens.
Tous deux se sont engagés dans une course de fond dont l’un sort couturé, malaxé, malmené mais debout et avec l’espoir – qu’il a exprimé devant les Amis du Crif – que son sort et celui de la France entière sera scellé dans les tout derniers jours, quand l’écume des petites phrases se sera volatilisée et que les électeurs seront face aux enjeux essentiels pour l’avenir du pays et qu’on se déterminera sur la capacité de former un gouvernement et de tenir la barre. Et l’autre poursuit allègrement sa marche, traverse la campagne frais comme un gardon, affiche un sourire permanent et compte sur la nouveauté, la jeunesse et le rejet du système.
Quelle France pour demain ? Oui, c’est la question cruciale. Et face à cette question, on voit bien les dangers qui guettent. Ceux inhérents à l’aventure des extrêmes (deux ambassadeurs de France, à Tokyo et à Washington ont déjà fait savoir qu’ils se refuseraient à servir la République si Marine Le Pen arrivait au pouvoir). Mais ceux aussi liés à la faculté de tenir ses promesses, de joindre l’acte à la parole, de dire les choses et d’agir en conséquence.
De ce point de vue, on peine à distinguer dans l’affiche qu’on nous propose, ceux qui vont nous sortir de l’ornière. Ceux qui vont prendre ce malaise à bras-le-corps. Ceux qui ne se bornent pas à agiter les bras en clamant qu’ils ont la solution, mais ceux qui sont le mieux à même d’énoncer les maux, de les montrer, de les localiser, de les dénoncer et de s’y colleter dans les cinq années qui viennent ! Mais il faudra choisir, car l’abstention en la circonstance, c’est l’évidence, serait une erreur.
Bonne élection à tous et à toutes !