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Littérature

Au Paradis, on a le temps

Freud, Proust, Einstein, Romain Gary, Woody Allen, Albert Cohen : sans leur mère, auraient-ils été des génies ?

 

La romancière Nathalie David Weill a imaginé avec succès un paradis des mères juives où le seul sujet de conversation porte sur les qualités de leur fils. Un succès mérité pour une mère juive « qui se soigne ».

 

L’Arche : Pourquoi avoir choisi comme premier roman d’écrire ce texte drôle et érudit Les mères juives ne meurent jamais ?

Nathalie David Weill : Je m’intéressais à cette question centrale : qu’est-ce qu’une bonne mère en littérature ? Concernant Freud, Einstein, Woody Allen et les autres, je me suis posé la question : ces fils-là étaient-ils déjà des surdoués au départ ou est-ce l’éducation de leur mère qui les a poussés ainsi ? Il y a cet exemple merveilleux : la mère des Marx Brothers et celle d’Einstein viennent du même milieu, ont les mêmes croyances, sont totalement contemporaines l’une de l’autre : eh bien, leurs enfants ne se ressemblent vraiment pas ! Je voulais réaliser un documentaire, mais on a trouvé l’idée peut-être un peu ardue. J’en ai écrit un roman, pour ne pas tomber dans la thèse, car je suis docteur en littérature.

Racontez-nous l’histoire de Rebecca…

Rebecca est une jeune femme qui vient de mourir d’un accident de voiture et qui se retrouve au paradis. À peine arrivée, elle croise la mère de Proust, puis celle de Romain Gary, celle d’Albert Cohen et de ceux que l’on vient d’évoquer. Interloquée, elle assiste à leurs discussions sans fin (au Paradis on a le temps !) pour savoir lequel de leur fils est le plus formidable. Elle va en apprendre beaucoup sur la vie de ces grands hommes car je me suis amusée à les faire parler. J’adore la mère des Marx Brothers : c’est elle qui avait décidé que ses fils seraient dans le show-business : le pauvre Groucho voulait devenir médecin ! J’ai une faiblesse aussi pour Madame Proust, mais Madame Allen était assez redoutable.

 

Quels sont les points communs entre ces mères ?

Elles possèdent un amour exclusif et inconditionnel pour leur fils, qui est soit unique, soit le seul adoré ainsi. Freud possédait une chambre pour lui seul alors que ses frères et sœurs s’entassaient à plusieurs dans une minuscule pièce ! Cet amour dévorant pour leur enfant les rend possessives, angoissées, insupportables et généreuses. Ces mères ont eu le culot et l’égoïsme incroyable de dire à leur fils : tu seras cela et en bon fils, ceux-ci ont obéi. C’est le cas de la mère de Romain Gary qui déclare à celui-ci qu’il sera écrivain français, héros de la guerre, ambassadeur : et c’est ce qui est arrivé ! On évoque ici un lien trop puissant entre la mère et son fils, qui finit par dévorer ce dernier.

 

Justement, comment sont les fils de ces mères toutes puissantes ?

En mauvais état ! Proust, Gary ou Freud ont souffert d’asthme, ont été hypocondriaques, ils ont tous eu des problèmes avec la nourriture en mangeant trop ou pas assez, leur vie sentimentale a été pauvre ou inexistante. Les mères juives ne sont pas toujours un cadeau ! La relation d’une mère à son fils conditionne-t-elle ce qu’il devient ? Ces mères ont vécu par procuration parce qu’elles ne pouvaient elles-mêmes avoir une carrière. Elles veulent la lumière pour leur fils mais aussi pour exister elles-mêmes. La mère de Freud aurait aimé être médecin. Elles ont poussé leurs enfants mais ils auraient quand même été, je crois, des génies sans leur aide. Peut- être un peu moins torturés !

 

En tant que mère de trois enfants, vous définissez vous comme une mère juive ?

Je crois qu’on peut être un papa catholique italien et répondre à la définition ! Il existe quelque chose d’universel dans la mère juive, qui croit, selon la blague, que si son fils ne lui téléphone pas, c’est qu’il est mort ! Pour vous répondre, j’aurai tendance à l’être mais je me soigne, j’essaie de ne pas peser, de ne pas poser trop de questions. Les enfants d’aujourd’hui sont très doués pour vous empêcher de devenir une mère omniprésente et omnipuissante et c’est tant mieux !

 

Nathalie David Weill, Les mères juives ne meurent jamais. Editions Robert Laffont et Points Poche.