Daniel Milgram, comédien et acteur ayant tourné avec les plus grands, est revenu sur le lieu de son enfance pour une représentation exceptionnelle le 27 mai à la Maison des Bretchs. Le spectacle sera présenté à Avignon cet été.
De son enfance forcée, celle qui ne passe pas par l’adolescence. Où comme pour Gotlib, Denner, Joffo et d’autres enfants cachés pendant la guerre, on passa directement à l’âge adulte par la force des choses. Il souhaitait depuis longtemps rendre hommage au Chambon-sur-Lignon. Une pièce montée avec Gilles Tourman et les frères Maurice et Ilan Zaoui de la troupe Adama, amis de longue date.
L’Arche : Comment est née l’idée du spectacle ?
Daniel Milgram : C’est une idée qui a occupé mon esprit pendant très longtemps. Je ne veux pas dire que je suis en dette avec le Chambon-sur-Lignon mais je suis en recherche d’un hommage que je leur dois. L’histoire est plus ou moins connue, mais quoi qu’il arrive pas assez connue. J’avais donc dans la tête le besoin de trouver un moyen d’en parler dans un spectacle. Je ne trouvais pas. A un moment, hélas douloureux pour moi, le deuxième soir de Hanouccah il y a 12 ans, mon père est mort. Au moment où il allait mourir, mon neveu qui vit en Israël m’a demandé de ses nouvelles. Je lui ai dit que c’était imminent. Que je regrettais de ne pas lui avoir dit certaines choses, que d’autres avaient probablement mal été interprétées. Ou que moi j’ai mal interprété. Mon neveu m’a dit que ce n’est pas grave, car je pouvais continuer le dialogue avec son âme. C’est ce que j’ai fait. Quand j’ai vidé mon sac, j’ai dit que j’allais le nettoyer un petit peu. Je suis sorti de la pièce. L’infirmière m’a rappelé en me disant : « Monsieur Milgram, votre père est en train de passer. Je suis revenu peu de temps avant son dernier souffle. Je pense qu’il souriait. Plusieurs années après, je suis tombé sur un ami qui s’appelle Gilles Tourman. Il a beaucoup écrit pour le café théâtre et des pièces plus sérieuses. On a commencé un travail d’écriture à deux, par des espèce d’interviews où je lui racontais différents moments de ma vie. Sur ces événements de vie, on a déterminé trois choses : ma relation problématique au judaïsme, mon rapport à Marlon Brando et mon père…
Lors d’une interview où on demandait à Guy Bedos comment il a réagi à la mort de Desproges, Coluche et d’autres confrêres dont il était proche, il a répondu qu’ils étaient toujours là autour de lui. Toutes ces personnes dont vous parlez, on a l’impression que vous les tutoyez sur scène.
Il y a effectivement deux aspects. D’abord l’aspect de ma vie avec mes souvenirs. Ils s’estompent mais des moments très importants resurgissent. Brando n’a pas modifié ma vie, mais il a été un guide. Certains lisent des ouvrages philosophiques, moi j’allais voir Marlon Brando. Parallèlement, parler de ceux qui sont toujours présents, c’est une des constantes du judaïsme. Il y a une partie du judaïsme qui est la religion des morts. Ce n’est pas un accident si le spectacle commence par « Papa, ce soir c’est le deuxième soir de Hanouccah, j’ai à te parler. »
Comment s’est déroulée l’écriture et son développement en pièce ?
Ca s’est très bien passé. J’ai proposé à Maurice Zaoui de faire la mise en scène. Il hésitait. J’ai insiste et il a accepté. Vous connaissez le résultat ! On se connaissait avec Ilan et Maurice depuis Rabbi Jacob. Ilan a été très généreux avec moi, me permettant de manger pendant un certain temps en m’embauchant comme rabbin à Adama. Quant à mon amitié avec Maurice elle a laissé des traces. Maurice a donc accepté pour ma plus grande joie.
Comment avez-vous intégré la dimension du Chambon ?
Ça s’est fait d’emblée dans l’écriture. J’ai parlé d’une reconnaissance. J’ai tout de suite pensé à offrir une représentation aux gens. Quand le spectacle était au point, une de mes cousines qui y habite a contacté Madame Éliane Wauquiez, la maire du village et mère de Laurent, laquelle a accepté immédiatement de recevoir ce spectacle. Ils mettent à notre disposition la salle des fêtes. Le projet initial s’est ensuite étoffé. Ilan a eu l’idée d’une soirée « récréative » et repas communautaire qu’on organisera vendredi soir, un shabbat laïc. On devrait aussi jouer pour les scolaires le lundi.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre lien personnel au Chambon ?
Je suis né en 1942. C’était pas totalement indiqué d’être juif à cette époque. Mes parents avaient fait cet enfant. Un beau bébé à la naissance, paraît-il. Est venu le moment en 1942 où il n’y avait plus de zone libre et il fallait cacher les enfants. Ma grand-mère voulait que tous les jeunes de la famille, son dernier fils et sa dernière fille, mes oncle et tante, ainsi que mon frère Claude et moi, restions ensemble. Qu’on soit caché dans le même lieu. C’était une démarche intelligente. L’OSE a proposé qu’on soit placé à la Maison d’Izieu. Mais j’étais trop petit. Les trois autres pouvaient y aller sans problème. Ma grand-mère a dit non. Mes parents ont continué à chercher. L’OSE a trouvé une solution pour nous quatre juste à côté du Chambon, à La Bâtie de Cheyne. J’ai été logé chez des paysans, la famille Kittler. Mon frère Claude était avec ma tante Hélène dans la famille Ollivier et mon oncle Léon chez les Cros. Tout ça dans un petit village où il y a quatre ou cinq maisons qui se courent après. La mienne était très excentrée au milieu des bois. On a eu la chance de survivre. On est là !
Vous avez revu ces familles après la guerre ?
Régulièrement. Il y a eu un phénomène dont il faut parler. De nombreuses familles, pour des raisons qui leur appartiennent, n’ont pas voulu revoir les gens qui les avaient hébergé. Certains sont revenus. Pour nous, le moteur de tout cela a été mon frère Claude qui a été ressenti quelque chose de très fusionnel avec les gens qui le cachaient. Petit détail presque psychanalytique : ma mère s’appelait Berthe et la jeune femme qui gardait mon frère se nommait Berthe Ollivier. A 16 ans, mon frère a voulu présenter sa fiancé à Berthe Ollivier. Il a renoué un contact qui n’a jamais cessé. Ces trois familles, sous l’impulsion de Claude, ont été reconnues comme Justes par Yad Vashem grâce aux dossiers préparés par mon père.