On pourrait, à l’occasion de l’année 2017, année du centenaire de la révolution russe, mettre à l’honneur Katya Grossman, la maman de Vassili Grossman qui, dans une lettre déchirante adressée à son fils – lettre qu’il portera toute sa vie dans la poche intérieure de sa veste, jusqu’à sa mort -, lui parlera de sa tendresse ineffable pour son peuple, née dans les tourments de la guerre. Avec cette injonction qui clôt les dernières lignes : « Vis, Vitia, vis ! ». L’auteur de « Vie et Destin » a plus que vécu, il a écrit un chef-d’œuvre.
On pourrait, à l’occasion du cinquantenaire de la guerre des Six jours, placer en couverture Golda Meïr, née à Kiev, grandie à Milwaukee, signataire de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, devenue Premier ministre au lendemain de cette guerre, avant d’entrer vivante dans la légende avec ses chaussures à lacets, son délicieux accent ukraino-américain, et la fameuse cuisine où elle réunira son cabinet en préparant des casse-croûte, du gâteau au fromage ou du strudel pour tout le monde. On raconte qu’en visite aux États-Unis, un journaliste américain l’apostrophe : « Il paraît que vous préparez le meilleur poisson farci en Israël. Ne pourriez-vous pas nous donner la recette ? » Elle promet, et une semaine plus tard, elle reçoit illico quarante mille demandes de recettes.
On pourrait, en ces temps électoraux, accorder toute la place qu’elle mérite à une figure au regard clair qui aura dominé une bonne partie de la vie politique française de ces dernières années. On lira l’hommage que lui rend son fils dans nos colonnes. Rescapée de la Shoa, magistrate, Ministre de la santé, première présidente du Parlement européen. Au long de ce parcours, elle ne cessera de dire sa fidélité à ses origines et aux siens, son attachement à sa judéité. « De mon père, j’ai surtout retenu que son attachement à sa judéité était lié au savoir et à la culture que les juifs ont acquis au fil des siècles en des temps où fort peu y avaient accès. Ils étaient désormais le peuple du Livre, quelles que soient les persécutions, la misère et l’errance. Pour ma mère, il s’agissait davantage d’un attachement aux valeurs pour lesquelles, au long de leur longue et tragique histoire, les juifs n’avaient cessé de lutter : la tolérance, le respect des droits de chacun et de toutes les identités, la solidarité ».
On pourrait choisir aussi les figures bibliques avec lesquelles nous avons grandi et qui nous ont façonnés, Sara, Rebecca, Rachel, Léa, Naomi, Ruth… Ou encore la mère d’Albert Cohen, celle de Romain Gary, celle de Marcel Proust. Elles ont toutes leurs mérites et elles figurent dans le tableau d’honneur de ce Hors-série.
On aurait pu mettre en titre « Prends au moins ton écharpe ! », tiré d’un poème d’Itzyk Manger. On a choisi finalement de relever, clin d’œil à notre ami Dominique Laury, journaliste et écrivain, ce que lui lançait sa mère dans son enfance. Il était dans la rue, en culottes courtes, en bas de chez lui, dans le quartier de Belleville. Elle était au deuxième étage et lui criait par la fenêtre : « Viens manger ton quatre-heures, il est déjà six heures ! » (en yiddish, paraît-il, c’est encore plus savoureux : « kim essen, quatre, sis cheume zaicze »). En français, cela touchera celles et ceux de nos lecteurs qui se souviennent de l’époque où on appelait « quatre-heures » le « goûter », du temps où il y avait des goûters. Les goûters, comme les quatre-heures, ont disparu, mais les « mères juives » sont encore là, parce qu’elles sont éternelles.
Au secours, elles reviennent ! Mais sont-elles jamais parties ? Elles n’ont jamais cessé d’inspirer le monde du cinéma, de la BD, de l’humour, de la littérature. Plus qu’une appellation contrôlée, c’est devenu un concept. De quoi sont-elles le nom ? Eh bien, tout simplement de notre imaginaire, de nos rêves, de notre mémoire, de notre tradition, de notre ADN. Ce Hors-série se veut un hommage à toutes et une célébration de chacune d’entre elles.