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Religion

La permanence d’un message

Claude Nataf a coordonné un livre qui raconte l’histoire de la grande synagogue de la Victoire.

 

L’Arche: Quelle est l’importance de la synagogue de la Victoire dans l’histoire du judaïsme français 

Claude Nataf : L’ouvrage que j’ai coordonné avec Jacques Canet et auquel ont collaboré plusieurs historiens a pour titre : La Synagogue de la Victoire, 150 ans du judaïsme français. Car l’histoire de cette synagogue se confond de façon continue avec l’histoire du judaïsme français depuis 150 ans, plus qu’elle ne se fond en elle. Voulue et conçue dans les dernières années du Second Empire, elle est inaugurée en 1874 dans les premières années de la IIIème République. Les juifs de France, émancipés par la Révolution, ont conquis sous l’Empire et consolidés sous la Monarchie de Juillet l’égalité avec les autres cultes. Ils sont pleinement intégrés à la vie du pays et se distinguent par leur réussite professionnelle dans les domaines les plus variés allant de la haute banque, à l’industrie, au commerce, au barreau et à la magistrature, à l’armée, aux lettres et aux arts. En édifiant une synagogue monumentale, au cœur d’un quartier prestigieux, destiné à devenir le centre de Paris, le siège des grandes banques et des grandes sociétés économiques, de l’Opéra et des grands théâtres, des grands hôtels et des grands restaurants, le judaïsme français veut manifester avec éclat son intégration. Depuis 1874, la synagogue est le lieu où la communauté juive à l’unisson avec les autres communautés religieuses célèbre les grandes commémorations de l’histoire de France. Pendant l’Affaire Dreyfus, c’est à La Victoire que Théodore Herzl, alors correspondant à Paris d’un journal viennois, bouleversé par l’antisémitisme engendré par la condamnation de Dreyfus, prend contact avec le Grand Rabbin de France Zadoc Kahn pour lui exposer son projet de création d’un Etat juif. C’est à La Victoire qu’en 1917 le président de la République Raymond Poincaré vient célébrer le souvenir de ceux qui meurent au Champ d’honneur, et ainsi commence le long déroulé de manifestations patriotiques qui perdurent de nos jours. Pendant toute la période de l’occupation allemande, malgré les arrestations qui sévissent au quotidien, malgré les persécutions et les attentas contre le lieu sacré, la Victoire demeure ouverte sous la direction   du Grand Rabbin de Paris Julien Weill, pour affirmer la permanence du message divin   et manifester publiquement une résistance spirituelle face au nazisme. C’est à La Victoire que Vincent Auriol président de la République vient à son tour marquer solennellement la fin des discriminations nées à Vichy et inaugurer un monument à la mémoire des martyrs de la Seconde Guerre mondiale. Le lien spirituel qui unit la communauté juive de France à Israël est également marqué de façon emblématique lors de Yom Hatzmaouth, anniversaire de la résurrection d’Israël, comme aussi lors des guerres qu’Israël a dû soutenir pour sa survie. C’est aussi là que lors des évènements tragiques comme par exemple les attentats de 2016, les plus hautes autorités du pays sont venues apporter à la communauté juive de France leur soutien dans l’épreuve et leur volonté de combattre pour maintenir le modèle républicain qui a permis à la communauté juive son intégration pleine et entière à la nation.

 

Dominique Jarassé a dit que cette synagogue représente l’apogée d’un âge d’or des synagogues françaises. En quoi ?

C’est l’époque où le judaïsme français veut affirmer son intégration mais aussi son égalité avec les autres cultes. Dans le paysage urbain, à côté des églises catholiques et des temples protestants, la communauté juive veut implanter des édifices imposants qui marquent cette intégration et cette égalité. Avant La Victoire , en 1852, on restaure et agrandit la synagogue de la rue Notre-Dame-de Nazareth , alors modeste et qui devient un véritable monument grâce à la générosité du baron James de Rothschild. Bordeaux, Marseille, Strasbourg, se dotent aussi de synagogues monumentales au cœur de la cité. La Victoire symbolise comme le montre bien dans le livre l’article de Nelly Singer, un double enjeu identitaire et architectural, créer un lieu de culte juif chargé d’un univers symbolique juif et de ses références identitaires et être le reflet de l’intégration de la communauté juive. D’où cette synagogue qui s’inspire du modèle des églises de France , aux dimensions proches de celles des églises médiévales mais où la symbolique juive et les références orientales rappelant l’altérité du judaïsme sont aussi présentes. La Victoire précède la construction d’autres synagogues comme celle de la rue des Tournelles puis de la rue Buffault à Paris, d’autres en province, auxquelles elle servira de modèle pour les références que son architecture symbolise.

 

Pourquoi cette synagogue est-elle devenue un symbole ?

La Victoire est le siège du grand rabbin de Paris, chef religieux de la plus nombreuse communauté juive de France . C’est la synagogue où les grands rabbins de France ont l’habitude de délivrer leurs messages spirituels de portée nationale. Mais elle est surtout le symbole de l’intégration des juifs de France dans la nation et de l’égalité des cultes dans la République. Comme l’a écrit dans la préface de l’ouvrage le président d’honneur de la synagogue Eric de Rothschild, « elle est le symbole d’un judaïsme fier et ouvert qui ne craint pas de se montrer. »