La Tchétchénie poursuit une politique de répression sanglante vis-à-vis des homosexuels, encourageant les « crimes d’honneurs » et mettant en place des camps d’internement. Cela se passe à quelques heures d’avion de Paris, en 2017. Rencontre avec Frank Giaoui, président du World Congress of GLBT Jews, qui s’inquiète des rares réactions.
L’Arche : Peu de choses filtrent de Tchétchénie. Que sait-on au juste aujourd’hui ?
Frank Giaoui : Il y a effectivement très peu de choses qui transparaissent. Les journalistes ne sont pas autorisés sur place. Les informations qui arrivent passent par la Russie. Par des organisations des droits de l’homme qui font ensuite passer les informations à l’Ouest. Nous nous retrouvons face à une situation de conflit Est-Ouest combiné avec un conflit Nord-Sud. Le conflit Est-Ouest n’est plus celui entre le communisme et le capitalisme mais entre le totalitarisme politique soutenu par la Russie et les démocraties occidentales. Ceci est combiné à un extrémisme islamiste. Une connivence s’est donc installée avec Poutine.
La combinaison des deux facteurs empêche le partage des informations. La difficulté qu’a l’Occident à gérer l’extrémisme religieux interne explique peut-être le manque de réactions. De plus, la plupart des mouvements de droits humains se sont contentés de manifestations. C’est bien de manifester. Tout le monde ne l’a pas fait.
Le World Congress of LGBT Jews a appelé à manifester dans différentes villes. Depuis quelques semaines, des gens se sont réunis dans les rues de Los Angeles, New York, Washington et San Francisco aux Etats-Unis. En Europe, il y a eu des manifestations importantes à Rome, Paris, Londres et Varsovie. En Israël, ils ont été un petit peu plus loin. Outre les manifestations, ils ont appelé le gouvernement israélien à boycotter officiellement les dirigeants tchétchènes. Les manifestations ne suffisent effectivement pas.
Il faut taper au portefeuille des dirigeants. Attaquer les personnes qui mènent ces pogroms là où cela fait mal. Ils ne sont pas préoccupés par leur réputation, la Tchétchénie n’étant pas un lieu touristique. Il ne faut donc pas seulement attaquer l’image. C’est assez difficile car ils sont soutenus par un grand pays avec lequel l’Occident a des relations commerciales. On ne peut pas arrêter les relations diplomatiques avec la Russie, c’est évident. La question à poser est de savoir si certains ne doivent pas utiliser des méthodes contre les dictateurs qu’eux utilisent contre nos démocraties ?
Vous parlez de « « pogrom ». Assiste-t-on à des massacres de grande ampleur ?
Les témoignages qui sont arrivés sont actualisées à dix jour. Ce que l’on sait précisément, c’est qu’il y a des camps d’internement qui ont été ouverts. Les dirigeants politiques tchétchènes ont demandé aux familles de dénoncer les homosexuels dans leur famille. Quand ils ont attrapé des homosexuels dans certains lieux de rencontres habituels, ils les ont livré à leur famille en demandant de « laver l’honneur de leur famille ». On sait très bien ce que cela signifie dans ces pays là.
Au moins trois personnes ont été exécutées à mort par des responsables tchétchènes. On n’en est pas encore à des pogroms massifs, mais il y a déjà des camps d’internement et la mise en place d’une politique officielle demandant l’exécution des homosexuels dans leur famille. On a vu des exécutions filmées dont une où un gamin de 17 ans a été jeté du 7e étage d’un immeuble. Les trois cas qui ont été démontrés sont indiscutables. Les camps d’internement sont indiscutables. Les appels au meurtre dans les familles sont indiscutables.
Avez-vous l’impression que les dirigeants occidentaux n’en font pas assez ?
D’une manière générale, les dirigeants des démocraties occidentales n’en font pas assez. Lorsque Trump fait passer des lois qui donnent droit aux religieux d’effectuer une discrimination officielle dans leurs sociétés ou communautés vis-à-vis des homosexuels, en leur privant de droits sociaux, cela génère plus de scandale. Car cela se déroule dans une démocratie où les associations de défense des droits des homosexuels ont pignon sur rue. L’éloignement politique et culturel de la Tchétchénie devrait au contraire encourager l’action politique. Notamment de la part des institutions de représentation des communautés juives dans différents pays, qui devraient avoir une position commune.
A ma connaissance, c’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que l’on parle, en Europe, de camp d’internement ou de camp de concentration. Il ne s’agit pas encore de camp d’extermination, mais il ne faut pas attendre que ce soit le cas. Les juifs ont dénoncé, à juste titre, le silence pendant la guerre au sujet de l’existence des camps de concentration pour des « raisons stratégiques », il ne faudrait pas que la même logique amène aux mêmes aveuglements et aux mêmes horreurs.