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France

Simone Veil, parcours

Avec l’âge, je suis devenue de plus en plus militante de la cause des femmes. Paradoxalement peut-être, je m’y sens d’autant plus portée que ce que j’ai obtenu dans la vie, je l’ai souvent obtenu parce que j’étais une femme », écrit Simone Veil.

Première femme ministre de la Ve République, première présidente du Parlement européen, celle qui reste une icône de la cause des femmes, qui caracole encore dans les meilleures places des classements de personnalités préférées des Français, celle qui impose le respect partout où elle passe, s’étonne parfois elle-même de son parcours exceptionnel. Elle connut l’abysse de Birkenau, la limite de l’inhumanité, mais aussi les sommets, la gloire, côtoya les puissants du monde entier. Tout en restant elle-même : droite, digne, lumineuse.

Née française israélite en 1927, Simone Jacob est devenue juive avec une époque qui l’a marquée comme telle. Pour sa part, elle se sentait avant tout française, dans un milieu patriote et laïc, où le judaïsme relevait plus d’une appartenance culturelle que d’une religion. André Jacob, son père, ancien combattant de la guerre 14-18, venait d’une famille juive originaire de Lorraine, française depuis plusieurs générations, sa mère, Yvonne Steinmetz, était également très assimilée. Quelle ne fut pas la frayeur de Simone quand un de ses camarades de classe, à l’école maternelle, lui asséna que sa mère était juive et qu’elle allait brûler en enfer ! Elle qui provenait d’un milieu très éclairé se confrontait pour la première fois aux préjugés antisémites les plus archaïques.

 

La « bonne » file

La famille s’était installée à Nice en 1924, trois ans avant la naissance de Simone, qui était la petite dernière, après deux filles, Madeleine (Milou), Denise, et un garçon, Jean. Le père, André, architecte, avait compris que la Côte d’Azur était en plein développement et lui offrait de bonnes perspectives professionnelles. Un choix que ne partageait pas Yvonne, qui aurait préféré rester à Paris et poursuivre des études, mais qui pourtant s’inclina et renonça à ses désirs pour satisfaire son mari. Quand plus tard, des difficultés matérielles se firent sentir, Simone en garda une conviction : une femme doit avoir les moyens de son indépendance, faire des études, avoir un travail, quoiqu’en pense son mari.

La crise des années 30 conduit la famille à déménager, mais elle reste soudée. Les trois filles sont très complices. Elles appartiennent à la Fédération Française des Éclaireuses, qui regroupe les éclaireuses israélites, unionistes et neutres. Plus tard, Simone Veil dira que cet apprentissage du scoutisme l’aura aidé pour survivre dans les camps.

Arrive la guerre. Le statut des juifs tombe en octobre 1940, André Jacob se voit retirer le droit d’exercer son métier d’architecte, les ressources s’amenuisent. En 1941, il faut se déclarer comme juifs, les Jacob, comme l’immense majorité des juifs de France, s’y plient. Fin 1942, les Allemands envahissent la zone libre, Nice devient une zone italienne, où les juifs sont plutôt plus protégés qu’ailleurs, du moins jusqu’en septembre 1943. Les réfugiés juifs affluent, Yvonne leur porte secours comme elle peut, parfois héberge une famille quelques jours. Simone continue à aller au lycée de jeunes filles. Jean arrête ses études pour devenir photographe, Milou prend un emploi de secrétaire pour soulager ses parents.

Après la chute de Mussolini, la Gestapo s’installe à Nice, sous la conduite d’Aloïs Brunner, qui a déjà dirigé les opérations anti-juives à Vienne, Berlin et Salonique, et qui prendra par la suite la direction du camp de Drancy. C’est la traque, Denise entre dans la Résistance, rejoint le mouvement Franc-Tireur dans la région lyonnaise, la famille Jacob se procure des faux papiers, ne dort plus à son domicile, Simone étant hébergée par la famille Villeroy. Elle ne va plus au lycée, mais ses camarades lui apportent les cours, et Mme Villeroy, qui est professeur de français, lui prodigue ses conseils pour qu’elle puisse tout de même préparer son baccalauréat. Elle le passe, et alors qu’elle allait fêter la fin des épreuves avec ses camarades, elle est arrêtée et conduite à l’hôtel Excelsior, siège de la Gestapo.

Quelques heures plus tard, sa mère, son frère Jean et sa sœur Milou la rejoignent. Le 7 avril 1944, ils sont à Drancy. Le 13 avril 1944, Yvonne, Simone et Milou partent pour Auschwitz. Jean, qui a alors 18 ans, et André, qui a lui aussi fini par être conduit à Drancy, sont déportés plus tard par le convoi 73 à destination de Kaunas (Lituanie). Ils ne reviendront pas.

En arrivant sur la Judenrampe à Auschwitz, Simone entend le conseil murmuré aux plus jeunes déportés, « dites que vous avez dix-huit ans ». C’est ainsi qu’elle sera sélectionnée dans la « bonne » file, et qu’elle pourra rester pendant toute sa déportation avec sa sœur et sa mère, sans laquelle, elle l’a toujours dit, elle n’aurait pas survécu. Yvonne est aussi une mère pour les compagnes de déportation de Simone, Marceline Loridan et Ginette Kolinka, sa bonté et sa générosité persistent malgré les conditions extrêmes auxquelles elles doivent faire face.

Autre chance pour Simone, celle de ne pas être complètement rasée. Sa beauté frappe une chef de Camp, qui propose de la placer dans un sous-camp à Bobrek, pour travailler à l’usine Siemens, et lui donner de meilleures chances de survie. Simone ne se démonte pas, elle demande que sa mère et sa sœur puissent l’accompagner, la kapo accepte.

 

La marche de la mort

Le 18 janvier 1945, Auschwitz est évacué, commence alors la terrible marche de la mort. Les trois femmes survivent aux 70 kilomètres à pied à jeun dans la neige, le froid, elles arrivent à Gleiwitz, sont ensuite transférées à Dora puis à Bergen-Belsen. C’est là que succombe la mère de Simone, des suites du typhus, le 15 mars 1945, un mois avant la libération du camp. Simone ne se résigna jamais à cette disparition : « Tout ce que j’ai fait dans la vie, je l’ai accompli grâce à elle », disait-elle.

Simone arrive en mai 1945 à l’hôtel Lutétia. Milou est rapatriée de son côté en wagon sanitaire, elle a encore le typhus. Quant à Denise, déportée à Ravensbrück en juillet 1944, elle est libérée du camp de Mathausen, où elle a été transférée un mois plus tôt. À la Libération, c’est elle, l’héroïne, qui retrouve ses réseaux de la Résistance et est invitée partout dans des conférences. Simone, elle, se mure dans le silence. On ne prend pas encore la mesure de la différence de ce qu’ont vécu les déportés juifs par rapport aux déportés politiques et ce qu’elle a à raconter, personne ne peut, ne veut l’entendre.

Elle vit chez sa tante, et s’inscrit en droit et à l’Institut d’Études Politiques de Paris, où elle ne tarde pas à rencontrer Antoine Veil à travers des amis communs. À l’automne 1946, ils se marient. Un an plus tard, naît Jean, et encore une année, c’est le tour de Nicolas. Le couple aura un troisième enfant, Pierre-François, six ans plus tard.

 

L’autonomisation des femmes

Les premières années, c’est Antoine qui construit sa carrière de haut fonctionnaire, prépare l’ENA. Simone le suit, y compris en Allemagne, à Wiesbaden puis à Stuttgart. Elle doit y subir encore un coup terrible : Milou et son fils, Luc, succombent à un accident de voiture en 1952, juste après être venus lui rendre visite.

Après la naissance de Pierre-François, Simone Veil décide de commencer sa carrière : elle entre dans la magistrature. Antoine s’est en effet opposé à ce qu’elle devienne avocate, carrière qu’il juge peu convenable pour une femme. Jean et Pierre-François, eux, deviendront plus tard des avocats renommés.

Elle est affectée à la direction de l’administration pénitentiaire et visite les prisons, dont les conditions sont à l’époque particulièrement déplorables. Elle essaie d’obtenir des moyens pour améliorer le sort des détenus, en particulier les femmes. Après un passage au cabinet du Garde des Sceaux, Georges Pleven, elle devient secrétaire du Conseil supérieur de la Magistrature, et aussi secrétaire générale de la Fondation pour handicapés et personnes âgées de Claude Pompidou. C’est également la première femme à entrer comme administratrice à l’ORTF.

Mais c’est sa nomination en 1974 comme ministre de la Santé dans le gouvernement de Jacques Chirac, formé à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, qui lui apporte la notoriété, à travers principalement le débat sur la légalisation de l’avortement et le courage avec lequel elle affronte une assemblée d’hommes pour défendre le droit des femmes à l’IVG. Depuis 1920, un arsenal répressif avait été mis en place pour punir sévèrement l’avortement, renforcé pendant le régime de Vichy (allant jusqu’à la condamnation à mort d’une « faiseuse d’anges » en 1943), et qui, jusque dans les années 70, entraînait des drames, des mutilations, des avortements clandestins, dans des conditions souvent extrêmes. La loi Veil a mis un terme à ces pratiques, et a consacré, après la loi Neuwirth sur la contraception, la liberté et le droit des femmes à disposer de leur corps.

Simone Veil reçut ainsi la gratitude de milliers de femmes qui avaient tremblé de peur d’une grossesse non désirée. Elle gagna le respect aussi parmi les hommes de tous camps, mais dut aussi subir les pires insultes des milieux intégristes. La pire étant de reprocher à cette survivante d’Auschwitz « l’extermination » de millions de fœtus, une attaque qui continue jusqu’à aujourd’hui, et qui reste insoutenable.

 

Bâtir une autre Europe

L’autre élément majeur de la carrière de Simone Veil fut son élection à la Présidence du Parlement européen, qu’elle occupa jusqu’en 1982. Là aussi, elle fut encouragée par Valéry Giscard d’Estaing qui voyait en elle le meilleur symbole possible pour la réconciliation avec l’Allemagne et pour construire l’Europe sur les cendres d’Auschwitz. Elle-même ne cessera de le rappeler : « L’Holocauste est notre héritage commun. De cette responsabilité historique découle une obligation commune pour chaque Européenne et pour chaque Européen : le combat pour la défense de la dignité et des droits non aliénables de la personne humaine ».

En 1979, elle se rend à Bergen-Belsen pour défendre la reconnaissance des persécutions nazies contre les Sinti et Roms, une reconnaissance qui tarde encore en Allemagne à cette époque-là.

Ses années au parlement européen (de 1979 à 1993) sont très riches : elle rencontre tous les dirigeants européens de l’époque, acquérant une stature internationale, et une image de personnalité au-dessus des luttes partisanes. Elle continue à forcer l’admiration, et pour les juifs de France, elle est devenue un symbole. L’UDF continue à la solliciter en France, et elle reprend des responsabilités nationales dans le gouvernement Balladur, comme ministre d’État, chargée de la Santé et des Affaires sociales, et de la Ville, de 1993 à 1995.

En 1998, elle est nommée au Conseil Constitutionnel. Elle se met ainsi à l’écart de la vie politique, ne sortant de sa réserve que pour appeler à voter « oui « au referendum de 2005 sur la constitution européenne. Elle qui a été particulièrement exposée au cours de sa carrière apprécie ce retrait, ce travail sur des textes de loi en petit comité, en profondeur, et avec indépendance.

Parallèlement, elle accepte la présidence de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, qui vient d’être créée en 2000 dans le contexte de la reconnaissance des responsabilités de la France dans la Shoah, et dont la dotation provient des avoirs spoliés aux juifs qui étaient restés dans les caisses de l’État et d’institutions financières. Elle s’implique ainsi dans les affaires de la communauté juive, tout en apportant partout dans le monde – et notamment lors des cérémonies du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz en 2005 – son témoignage de déportée juive, et son message de vigilance face à la montée de l’antisémitisme, de l’antisionisme et face à la banalisation de la Shoah.

Elle s’attache aussi à la reconnaissance de l’action des Justes de France, demandant au Président Jacques Chirac de leur consacrer une plaque dans la crypte du Panthéon des Grands Hommes. La cérémonie a lieu en janvier 2007, juste avant la fin de ses fonctions au Conseil constitutionnel et à la Fondation, dont elle reste présidente d’honneur.

En 2010, elle entre sous la coupole de l’Académie Française. Elle a demandé à graver sur son épée son numéro de déportation. Jusqu’au bout, la Shoah restera marquée dans sa chair, dans son âme ; Simone Veil, qui vient encore d’être éprouvée par la perte de sa sœur Denise puis de son mari Antoine, l’affirme : « Mes dernières pensées seront pour mes camarades des camps, ils sont devenus ma famille ». ●